[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]ay-Jay Johanson s’apprête à sortir son nouvel album, Bury The Hatchet en septembre prochain. Son actualité est pourtant chargée depuis quelques mois.
Il nous a gratifié d’une tournée consacrée à son album fondateur, Whiskey, mais aussi d’un EP surprise You’ll Miss Me When I’m Gone, suivi le 30 juin de son nouveau single, Paranoid. Nous l’avons rencontré dans un café parisien, verre de Whiskey à la main, quelques heures avant qu’il ne monte sur scène pour son concert sold out au Centre Pompidou.
Il revient pour nous sur la genèse de ce premier album, et sur son évolution en tant qu’artiste. Il nous dévoile également quelques informations sur Bury The Hatchet, sur lequel figure la première apparition discographique de Lucy Belle Guthrie, fille de Liz Frazer et Robin Guthrie des Cocteau Twins.
Tu as récemment revisité sur scène Whiskey, ton premier album sorti il y a 21 ans. Pourrais-tu revenir pour nous sur la sortie de ce disque ? A-t-il été facile à sortir à l’époque ?
Débuter a un avantage : tu as pu bénéficier d’une longue période pour composer. The Girl I Love is Gone a été écrite plusieurs années avant la sortie de Whiskey. Avec It Hurts Me So, c’est même le seul titre qui est resté en permanence dans mon répertoire jusqu’à sa version finale sur l’album. Je les ai joués avec plusieurs arrangements différents. Une seule constante est restée, les beats. J’ai commencé à en créer dès le plus jeune âge. Avec une approche plus pop. C’était avant ma découverte de Chet Baker. Et puis Portishead a sorti Dummy. Ils m’ont donné envie de fouiller dans ma collection de disques pour dénicher des passages sur lesquels je pouvais chanter. C’est comme ça qu’est né le style qui m’a fait connaître.
Comment ces premières chansons ont-elles pris naissance ?
Je viens d’une petite ville sur la côte ouest de la suède. Il n’y a que 7000 habitants. J’ai décidé de déménager à Stockholm. Je ne m’y étais jamais rendu auparavant. Je m’y suis senti isolé car la majorité de mes amis a déménagé à Göteborg. C’était plus proche pour eux. Mais je voulais à tout prix rejoindre une école d’art. J’étais l’archétype du grand timide de province. Je me suis réfugié dans un monde de fantasmes. Je n’avais même pas de petite amie. Tenir un journal intime m’a aidé… Une partie de mes notes se sont transformées en paroles pour mes chansons.
As-tu enchaîné tes études directement avec ta carrière de musicien ?
À la fin de mes études, j’ai ouvert un bureau de graphisme avec deux autres personnes. Ça a bien marché, nous avions de gros clients. Un de mes associés savait que je faisais un peu de musique. Il m’a demandé de jouer pour la soirée de ses 30 ans. Je n’ai pas pu refuser. Un directeur artistique de chez EMI y était invité. Trouvant ma musique intéressante, il m’a réclamé une démo pour la faire écouter à son patron. Quelle n’a pas été sa surprise quand je lui ai dit que je n’en avais pas. Je n’avais même jamais mis les pieds dans un studio d’enregistrement ! Il m’a demandé de passer le lendemain pour en enregistrer une. Peu de temps après, j’étais signé par EMI pour trois albums. Tout s’est passé très vite. J’avais la chance d’avoir un bon stock de chansons. Seule Mana Mana Mana a été composée en studio. Aujourd’hui, quand j’écoute ce titre je trouve que l’on ressent mon stress. Il nous fallait un titre de plus. Ce n’était pas évident pour moi.
Ce disque ne ressemblait à rien de ce qui existait à l’époque. En étais-tu conscient ?
Oui. Je sentais que je tenais quelque chose de spécial. Mon héros depuis tout gamin était Chet Baker. J’étais content d’avoir créé un style unique influencé par lui. C’était moderne, mais ça ne sonnait comme aucune autre production de l’époque. Ma maison de disque et le public français l’ont également pensé. C’était un soulagement. Être signé sur une major a été un atout majeur. Ils ont pu proposer mon album à différentes filiales à travers le monde. À ma grande surprise, beaucoup se sont montrés intéressés.
Quel effet cela te fait de jouer cet album en entier sur scène lors de cette tournée de transition ?
Les gens pensent que les titres de Whiskey sont joués régulièrement sur scène. Ce n’est pas le cas. Nous n’avions pas joué Mana Mana Mana depuis notre toute première tournée. The Girl I Love is Gone, que beaucoup considèrent comme un de mes classiques, figure rarement à notre répertoire. Même It Hurts Me So, le morceau dont je suis le plus fier sur Whiskey, a du mal à se mélanger aux chansons de mes autres disques sur scène. Je sens parfois que je recherche le frisson ressenti à la création de ce morceau. Il est toujours l’essence de mon travail actuel.
Je trouve que l’on peut établir un parallèle entre Whiskey et Bury The Hatchet. En as-tu conscience ?
J’ai du mal à m’en rendre compte. Je prends cette remarque comme un compliment. Le charme et la naïveté d’un premier album est impossible à reproduire. Pourtant je trouve que tous mes autres albums manquent de ce petit quelque chose que j’adorerais retrouver. Mais d’une façon différente. Je travaille avec la même équipe depuis mes débuts. Nous faisons attention de ne pas nous répéter. C’est pourquoi nous improvisons beaucoup. Pourtant, quand je pense à quelqu’un comme Neil Young, que j’adore, j’ai envie qu’il me ressorte les mêmes recettes à chaque album. J’ai tenté de me renouveler. Mais après une carrière aussi longue, je vais laisser ces expérimentations derrière moi. Je vais changer en douceur.
Tu laisses également plus de lumière pénétrer tes chansons.
Depuis le dernier album je m’éloigne de la noirceur qui était représentative de mon travail. Composer à la maison est un plaisir que je cherche à communiquer. Je n’ai pas toujours été aussi heureux. J’ai tendance depuis Tatoo à garder les morceaux que je compose le plus rapidement. Cette spontanéité change beaucoup de chose. On l’entend clairement sur disque. Bon, après il y a aussi des titres sur lesquels j’ai travaillé pendant des mois (rire).
En prélude à l’album Bury The Hatchet, tu as sorti un EP surprise avec quatre inédits. On retrouve d’autres inédits, sur Paranoid, l’EP qui sort le 30 juin. Considères-tu que tu es dans ta période la plus prolifique ?
Il devrait également y avoir un troisième EP, qui contiendra, entre autre, un titre ambiant de 30 minutes. Un quatrième est même planifié. On va également sortir une version « de luxe » du nouvel album, avec une dizaine de titres de mon catalogue joués en version acoustique. Ce sera la suite de Looking Glass, paru à l’époque de Spellbound. Si je m’écoutais, je sortirais un album par an. Mais il est difficile de trouver des musiciens acceptant de t’accompagner en tournée aussi souvent. Les maisons de disques sont également réticentes. Beck, Prince ou Michael Jackson ont souvent affirmé écrire une cinquantaine de chansons par an. Mais après, il faut faire le tri. Je fonctionne différemment. Je n’enregistre et ne sors que les titres que je trouve spéciaux. Tout ce qui ne finit pas sur l’album est publié sur les singles. Je n’ai aucun inédit de côté. Je fonctionne à l’ancienne, comme les Cocteau Twins. Ils ont toujours été généreux sur leurs EP. Certains titres auraient pu figurer sur des albums. Je suis conscient que ce n’est pas toujours le cas pour moi (rire).
Pourrais-tu nous parler de ta collaboration récente avec le français Léonard Lasry ?
Il y a une bonne dizaine d’années, Léonard a contacté Universal Publishing car il avait enregistré une reprise de Quel Dommage qui figurait sur mon album Tatoo. Il avait traduit les paroles en français. Il voulait obtenir l’autorisation de sortir le morceau. J’ai trouvé la démarche charmante, et nous sommes restés en contact depuis. Récemment, il m’a envoyé quelques titres sur lesquels il bloquait pour que je les mixe. Ils sonnaient très “classique français”. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois à cette époque. On s’est découvert beaucoup de points communs. Comme notre passion pour Michel Legrand et Francis Lai. Ces artistes me fascinent. J’ai eu la chance de les découvrir en tant qu’adulte. Ça ne sonnait comme rien de ce que j’avais pu entendre jusque là. J’y ai certainement entendu des détails auxquels vous, les français, ne prêtez plus attention. Imagine si je te faisais découvrir des classiques pop suédois des années 60. Tu ressentirais la même chose.
Plus ta carrière avance, et plus tu t’ouvres aux collaborations avec d’autres artistes. Pourrais-tu nous dire ce qui te motive ? La peur de tourner en rond ?
Je n’aime pas vraiment collaborer avec d’autres artistes. Si je pouvais, je travaillerais en ermite à la maison. Mais j’entretiens une telle connexion musicale et extra musicale avec mon batteur et mon clavier, qu’il est impensable que je travaille avec eux. Pourtant nous sommes des musiciens limités. Si nous estimons qu’un titre a besoin d’un plus comme une pédale steel ou un saxophone, nous devons collaborer. Mais ce sont plus des invités qu’autre chose. Seuls quelques rares titres sont composés et enregistrés avec mes musiciens comme une véritable collaboration. J’ai un disque en préparation depuis un long moment avec Robin Guthrie des Cocteau Twins. Nous adorerions trouver le temps suffisant. Il a joué sur Tatoo, mais en simple invité. Idem sur Rainbow, un titre du nouvel album sur lequel figure également sa fille.
Es-tu en train de me dire que tu es un « control freak » ?
Non, car je veux que mon groupe improvise. J’ai besoin de sentir que ce que je créé puisse prendre une toute autre direction. Par contre, je m’occupe moi-même des pochettes, de mes vidéos. En fait, je suis un control freak (rire) !!
Tu parlais de Lucy Belle, la fille de Liz Frazer et Robin Guthrie qui chante pour la première fois sur Rainbow, un titre de ton nouvel album. Pourrais-tu nous en dire plus sur cette collaboration ?
Je la connais depuis les années 90. Elle n’était alors qu’un bébé. J’ignorais qu’elle avait une voix aussi belle que sa mère. Voire meilleure. Robin enregistrait plusieurs prises avec Liz avant d’obtenir un bon résultat. Avec Lucy Belle, une seule suffit. Quand j’ai composé Rainbow, je voulais l’enregistrer en duo. Jeanne Added m’avait donné son accord. Sa carrière a pris une telle tournure qu’elle n’a pas eu le temps. Je me suis ensuite tourné vers une artiste suédoise que j’admire, El Perro Del Mar. Puis j’ai décidé que je voulais inclure du spoken word dans le titre. Pour que ça sonne cohérent, je savais qu’il me fallait une artiste anglo-saxonne. J’avais vu des vidéos de Lucie chantant du karaoké sur Facebook, et sa voix m’avait impressionné. J’ai demandé à Robin si sa fille serait prête à chanter sur mon disque. Il m’a répondu que sa mère n’apprécierait peut être pas. J’ai quand même tenté ma chance. Elle a accepté et le résultat est époustouflant. Et puis Robin m’a timidement demandé s’il pouvait jouer de la guitare sur le titre. Comment refuser !
Tu as acheté un piano il y a trois ans. Tu en joues tous les jours. En quoi cela affecte-t-il tes nouvelles compositions ?
L’influence est flagrante. Pour Spellbound, il en était de même avec la guitare acoustique. J’ai besoin de me mettre dans des situations me permettant d’apprendre pour développer mon songwriting. Je suis loin d’être un bon pianiste, mais je suis fier que ce soit moi que l’on entende jouer sur plusieurs titres du nouvel album. Je me suis offert une trompette pour Noël. J’en joue tous les matins. C’est l’instrument le plus difficile qu’il m’ait été donné d’apprendre. Qui sait, dans quatre ans je serai peut être capable d’en jouer sur un album (rire) ! J’adore être adulte et continuer à apprendre.
Photos : Alain Bibal
(Merci à Ivica Mamedy)