[dropcap]O[/dropcap]n ne va pas se mentir, To Love Is To Live, le premier véritable album solo de Jehnny Beth, n’est pas la déflagration que fut à nos oreilles en son temps Silence Yourself, le disque des débuts de Savages. Il y avait une unité, une couleur, une urgence, un embrasement généralisé sur ce premier opus qui nous avait totalement retournés. To Love Is To Live nous désarçonne aussi mais sans totalement nous captiver.
Jehnny Beth prend en effet un malin plaisir à brouiller les pistes tout au long d’un album qui n’est pas une promenade de santé (mais ce n’est évidemment pas ce qu’on attendait d’elle). To Love Is To Live, dont le projet est né après le choc que fut pour la chanteuse l’écoute de Black Star, l’ultime réalisation de David Bowie, est un disque qui puise sa raison d’être à la fois dans la volonté de constituer un legs (avant un trépas qui pour lointain qu’il soit n’en est pas moins certain) mais aussi d’en découdre avec ses démons intérieurs, quitte à flirter avec le chaos.
Et un disque qui se nourrit du chaos n’est pas là pour nous dire des choses aimables. Ce chaos prend la forme d’une confrontation tous azimuts avec ses pulsions autodestructrices, mais, il faut bien l’avouer, la confrontation vire souvent à la confusion pour ne pas dire à la palinodie. Devant tant de contradictions exposées sans filtre, indices certes de la complexité de l’artiste, l’auditeur se sent parfois un peu perdu. Piété/athéisme, innocence/culpabilité, effacement/orgueil, désir homosexuel/ jalousie hétérosexuelle, distance/intimité, raffinement/grossièreté, Jehnny Beth souffle le chaud et le froid alternativement parfois à l’intérieur du même morceau au risque de nous perdre en cours de route.
Musicalement, c’est plus ou moins le même topo. La cohésion des deux premiers disques de Savages a fait place à un capharnaüm déstabilisant. Voix robotisée, électronique débridée, improvisations jazz, piano en sourdine, sax dissonant, Jehnny Beth multiplie les climats tout en maintenant une tension parfois à la limite de l’agression (comme par exemple I’m The Man scandé trente fois consécutivement sur le morceau du même titre). Innocence avec son obsession de la pureté et du pêché est peut-être le titre qui formellement résumerait le mieux l’ambition de To Love Is To Live.
Après une suite d’anti-confessions rageusement déclamées, presque vomies, le style s’infléchit au refrain pour adopter une structure presque classique. De même, après le fatras bruitiste de How Could You (ou la colère de Jehnny Beth est épaulée par les furieux d’Idles), un chant d’oiseaux bucolique prélude à la plus belle réussite du disque, French Countryside, une ballade somptueuse et puissamment nostalgique où la voix énergique de Jehnny Beth sait se faire lyrique (oh, l’écho sur Love Don’t Desert Me Now) et où la prosodie, parfois précipitée, ne peut totalement empêcher la tendresse d’affleurer. Mais French Countryside n’est qu’une timide éclaircie et, dès le titre suivant (Human), le tumulte et la panique reprennent leurs droits.
Volontiers hermétique, abrupt, sans vraie structure identifiable, To Love Is To Live ne cherche pas à se faire aimer à tout prix. Dans une époque où les « safe spaces » se développent un peu partout, Jehnny Beth prend le risque de nous offrir un disque très unsafe où, réfutant la posture de la victime, elle s’avance le front bombé, les seins dressés, les poings serrés (comme la statue de la pochette), la voix (tranchante) en étendard semblant reprendre à son compte les mots de James Joyce (tels que cités par Bret Easton Ellis dans son excellent White) : « I have come to the conclusion that I cannot write without offending people ».
Je suis loin d’adhérer à ce disque dans son intégralité (trop de voies sans issue, trop d’irritations pour mon épiderme fragile), mais il a le grand mérite de ne pas polir son discours pour séduire de nouveaux adeptes ni de transiger avec qui est réellement Jehnny Beth.
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To Love Is To Live de Jehnny Beth
Universal music – Juin 2020
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Image bandeau : Johnny Hostile photo fournie par Tomboy Lab