[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our ses débuts en France, Fifi Brindacier n’a pas eu beaucoup de chance. Les premières éditions françaises, datées de 1951, des romans à l’héroïne à couettes étaient tellement « adaptées » qu’elles en perdaient leur audace et leur caractère novateur… Ce qui ne les empêchera pas de remporter un certain succès. Il faudra attendre…1978 pour que sorte une nouvelle traduction de Fifi à Couricoura, puis 2007 pour que Hachette se décide à ressortir l’intégrale dans une traduction signée Alain Gnaedig, qui est aussi le traducteur de cette biographie de l’auteure Astrid Lindgren.
C’est sans doute par le biais de la télévision que Fifi Brindacier a connu ses plus grands succès, en France en tout cas. C’est à partir de 1969 que les chères têtes blondes pourront retrouver sur le petit écran une partie des aventures de Fifi, petite fille de neuf ans qui vit toute seule dans une grande maison biscornue, en toute liberté et qui dispose de pouvoirs peu ordinaires – elle peut soulever son cheval d’une main – et d’un caractère bien trempé. Incarnée à la télévision par Inger Nilsson, reconnaissable entre toutes à ses couettes rousses dressées à l’horizontale de chaque côté de sa tête, ses taches de rousseur, ses dents du bonheur et ses grandes chaussettes. A l’époque, les programmes pour enfants donnaient plutôt dans la niaiserie et les bons sentiments. Alors quand arriva Fifi, une gamine libre, impertinente, indépendante, un peu zinzin, les enfants l’accueillirent avec bonheur. Leurs parents, un peu moins… Mais qui se cachait derrière cette héroïne pas comme les autres ? Astrid Lindgren, une auteure pas comme les autres, et une sacrée femme devenue une véritable héroïne dans son pays, dont Jens Andersen nous raconte la vie dans ce livre.
Le premier épisode de Fifi Brindacier
Astrid Lindgren naît en 1907 à Vimmerby, bourgade suédoise situé au sud-est de Stockholm, dans une modeste famille d’agriculteurs. Elle a deux sœurs et un frère, Stina, Ingegerd et Gunnar, l’aîné. La vie est plutôt agréable, même si le couple que forment Samuel et Hanna, les parents d’Astrid, ne roulent pas sur l’or. Mais nous sommes à la campagne, Astrid, ses frères et sœurs et ses amis ont une vie libre, jouent dans la campagne, aident aux travaux des champs… Hanna écrit des poèmes, elle aime les mots, et mène sa petite troupe tambour battant. La jeune Astrid se débrouille bien à l’école, mais à l’époque, surtout à la campagne, les filles ne font pas de grandes études… Donc en 1923, fini l’école. Très vite, Astrid devient apprentie journaliste dans le journal local, le Wimmerby Tidning, dirigé par Reinhold Blomberg. Là, Astrid développe ses talents de narratrice : on lui confie la rédaction de petites histoires que le public apprécie, elle mène quelques enquêtes locales, et elle aime ça.
Mais à l’âge de 19 ans, Astrid se retrouve enceinte des œuvres de Reinhold Blomberg. Ce dernier est marié, père de famille nombreuse et beaucoup plus âgé qu’elle. Mère célibataire à 19 ans, c’est un drame… N’oublions que nous sommes en 1926. Blomberg est prêt à divorcer et à épouser Astrid : mais cette dernière ne l’entend pas de cette oreille. Elle veut le bébé, mais pas le père… Toute sa vie, Astrid Lindgren vivra pour les enfants, les siens et ceux qui lisent ses livres : la vie de couple n’est pas sa priorité. A cette époque-là, ça n’est ni courant ni facile à vivre. Astrid va donc manger de la vache enragée, obligée d’aller accoucher à Copenhague, en toute discrétion, de placer son enfant en nourrice et de survivre grâce à des petits boulots. Pour les habitants de Vimmerby, Astrid est partie faire des études à Stockholm…
Le petit Lars vit donc les trois premières années de sa vie à Copenhague, chez l’adorable Marie Stevens. En 1928, c’est la rupture définitive entre Astrid et Reinhold Blomberg, qui a divorcé et qui entend bien récupérer le petit Lars. Pour Astrid, c’est hors de question : Marie Stevens gardera l’enfant pendant un an gratuitement afin de permettre à sa mère de le prendre avec elle une fois sa situation stabilisée. Astrid travaille à l’Automobile Club, à Stockholm. Elle prend des vacances et décide d’emmener son fils à Vimmerby : c’est au printemps 1930 que mère et fils débarquent ensemble : « C’est un petit-fils qui parlait danois qui est arrivé à Näs en mai 1930. » A cet âge-là, on s’adapte vite : rapidement, Lars s’habitue à la vie à la campagne, il adore la nature et les animaux, et peu à peu, trouve une stabilité et cesse de craindre que sa mère l’abandonne.
En avril 1937, Astrid épouse Sture Lindgren, chef de service qu’elle a rencontré à l’Automobile Club, et quitte son emploi. Le couple et le petit garçon emménagent à Stockholm et Astrid commence une vie de femme et de mère au foyer qui, au fond, ne lui ressemble guère. Mais l’éducation de Lars est sa priorité : liberté, épanouissement, amour. Astrid reprend sa plume et publie dans le Journal de l’automobile un grand article qui rencontre un certain succès. Elle y retrouve son style : « naturel, agréable, vivant et imagé ». Et surtout, elle raconte des histoires au petit Lars. « Dans l’ensemble, j’ai tenu ma promesse de ne pas devenir écrivaine », écrit-elle. Pourtant, elle écrit régulièrement des histoires pour enfants qui paraissent dans les magazines et se passionne de plus en plus pour la pédagogie.
Elle lit beaucoup d’ouvrages qui paraissent à l’époque, notamment ceux de Watson, avec lequel elle est loin d’être d’accord puisqu’il préconise de ne jamais prendre les enfants dans ses bras ! Elle dira lors d’une interview, beaucoup plus tard : « J’ai (…) réalisé combien les enfants étaient tout le temps rabroués et écrasés. » En mai 1934, elle donne naissance à la petite Karin. Elle publie de plus en plus, s’imprègne de plus en plus de la psychologie des enfants, tout naturellement aidée par la présence de Lars et Karin qu’elle observe avec attention et tendresse. La Seconde guerre mondiale la sensibilise à la vie politique. Même si la Suède n’y est pas directement impliquée, elle est parfaitement consciente de ce qui passe en Europe et s’en inquiète beaucoup. Elle travaille même comme « contrôleur » pour les services de renseignements suédois, un poste top secret qui lui permet de prendre une conscience aiguë de la situation du monde…
C’est en 1941 que Fifi Brindacier fait son arrivée dans la vie d’Astrid Lindgren. A l’origine le premier livre de Fifi Brindacier est destiné à Karin : Astrid compte le lui offrir pour son dixième anniversaire, en 1944 : « Fifi est le fruit d’une inspiration soudaine, pas un personnage mûrement pensé dès le début. Certes, elle était un petit Superman dès le début, forte, riche, libre indépendante », confiera-t-elle dans une interview en 1967. Le premier volume des aventures de Fifi paraîtra « officiellement », lui, en 1945, et on y retrouve un petit personnage colérique qui évoque irrésistiblement certain dictateur allemand. Adolf le Costaud s’exprime d’ailleurs avec un fort accent allemand… Ce premier volume paraît chez un petit éditeur auquel Astrid Lindgren restera fidèle, et non pas chez Bonniers, la grande maison d’édition suédoise chez laquelle l’auteure ne se sentait pas bien accueillie… Bonne décision pour elle comme pour son éditeur, Räben & Sjögren, qui sera littéralement sauvée de la faillite grâce à ce premier livre.
C’est le début d’un succès qui ne se démentira jamais, et de l’influence grandissante de l’auteure Astrid Lindgren dans la vie publique et culturelle suédoise. Outre ses prises de position audacieuses dans le domaine de la pédagogie, elle s’intéresse également à la protection de la nature et des animaux: elle se réfugie d’ailleurs souvent sur une île de la Baltique, Furusund, où elle et sa famille se construisent un véritable petit paradis au cœur de la nature. Elle soutient activement les luttes des femmes, et se montre amèrement déçue par la social démocratie pour laquelle elle a pourtant beaucoup milité dans sa jeunesse. Jusqu’au bout, même après la mort de son mari et de son fils Lars, elle entretiendra des amitiés fortes avec des femmes, des militantes, envers lesquelles elle se montrera volontiers philanthrope.
Les livres d’Astrid Lindgren connaîtront un succès international, même si la France fait figure de mauvais élève dans ce domaine… Astrid Lindgren conservera jusqu’à sa mort, en 2002, l’amour et le respect de ses lecteurs. Elle incarne la femme courageuse, audacieuse, moderne. Cette biographie permet de découvrir la vie d’une femme libre capable de s’opposer dès son plus jeune âge à la morale bourgeoise, d’exprimer sans hésiter ses idées pédagogiques quelque peu révolutionnaires, d’apporter aux enfants un grand souffle d’air frais et d’esprit de liberté. Une vie tout sauf tranquille, une femme tout sauf conformiste, un personnage à découvrir et à aimer.
Astrid Lindgren, une Fifi Brindacier dans le siècle de Jens Andersen traduit du suédois et du danois par Alain Gnaedig,
Paru chez Gaïa éditions, février 2019
| Gaïa éditions |
Une decouverte qui resonne jusqu au Senegal .