[dropcap]D[/dropcap]epuis quelques années maintenant, nous voyons fleurir dans la littérature étrangère de plus en plus de récits, romans portant sur ces contrées lointaines que l’Homme a tenté de supprimer en s’octroyant ces terres, en disséminant ces peuples. Autochtones.
Depuis quelques années maintenant, la littérature leur redonne une place, je pense entre autres à Nirliit de Juliana Léveillé-Trudel, à Kuessipan et Manikanetish de Noami Fontaine ou encore Homo-Sapienne de Niviaq Korneliussen.
Les voix s’élèvent, se soulèvent pour nous offrir un voyage, une vision, une mémoire. Et en matière de voix, celle de Joy Harjo, dans Crazy Brave, en cette rentrée littéraire est à la fois puissante et poétique.
J’ai ressenti la tristesse qui pesait douloureusement sur sa poitrine. Douleur liée aux larmes des milliers de déportés de notre nation, déracinés et contraints à une interminable marche vers l’ouest, jusqu’en Territoire indien. Larmes des morts mêlées aux larmes de ceux qui avaient survécu pour enterrer les morts. Il fallait continuer de marcher. Marcher encore, toujours, tentant d’arriver chez nous. Dans ses poumons des larmes ont pourri et sont devenues une tuberculose.
Est-elle folle Joy Harjo ? Est-ce la folie qui habite cette femme qui entre et sort si souvent du royaume des Anciens ?
Joy Harjo, poétesse, musicienne, peintre, fille de mère Cherokee et de père Creek, ballottée de territoires en territoires. Mémoire des guerres. De la violence et du racisme des Hommes. Parquée dans des réserves, des établissements réservés aux Indiens. Du Nord au Sud. D’est en Ouest. Fille d’un père, signe de l’eau, sensible, insaisissable, en lien avec le langage de la nature.
Mais un père rongé par la colère, la lassitude. Un père dont Joy a peur autant qu’elle l’adore. Un père qui s’échappe chaque soir ou presque pour boire et s’adonner à l’infidélité avant de rentrer ivre et de battre sa femme qu’il aime pourtant passionnément. Cette femme qui un jour divorcera de s’être trop fait enserrer le cou.
Cette femme, cette mère, signe du feu, dont les chants résonnent dans la maison, reconstruira sa vie avec un homme, un blanc. Possessif, religieux, misogyne, violent. Et les chants dans la maison cesseront. Cette mère si magnétique, si forte, ne dira rien lorsque l’homme blanc défoulera son ceinturon sur elle et les enfants. Joy n’y échappera pas. Comme elle n’échappera pas, adolescente, à ses regards carnassiers.
Parce que Joy est d’une beauté éblouissante. Joy possède la beauté des ancêtres. Une beauté spirituelle, artistique. Et sous les coups de cet homme, l’Art s’effacera.
Jusqu’au jour où elle partira. Jusqu’à Santa Fe. Elle y étudiera les beaux-arts. Au milieu des Indiens et des croyances des différentes tribus. Entre rêves et cauchemars, Joy s’émancipe, développe ce qu’elle porte en elle depuis la naissance : son talent. Son talent pour le dessin, le théâtre, la poésie. Elle renoue avec son patrimoine. Et découvre l’amour. Celui qu’elle nommera son mari.
Au retour des études, camouflé le ventre qui s’arrondit. Mère-adolescente, elle repart pour retrouver cet homme, fuir la violence de la maison. Mais les hommes ne sont pas pères si jeunes… Plus tard, elle rencontrera un autre homme. Poète. Violent lui aussi. Reproduit-on inévitablement les mêmes schémas que ceux que l’on a connus, vécus ?
Alors Joy se battra. Renoncera à l’héritage de la violence. Jusqu’à s’épanouir et devenir celle qu’elle est aujourd’hui. Une femme-artiste-mère. Libre. Insoumise.
Voilà cette voix qui s’élève et gronde avec poésie pour porter aux yeux de tous les combats d’un peuple contre l’oppression et ceux des femme contre les violences familiales, masculines. Violences physiques et sexuelles.
Dans ce récit intime, ces mémoires, Joy Harjo ne cesse de se débattre avec des sentiments contraires qui auront cohabité en elle durant toute son enfance. Des sentiments de peur et d’adoration. Des sentiments dont elle ne comprenait pas le sens. Issus d’un héritage indien où la connexion avec la Terre, la nature, les rêves et les ancêtres est un chemin, une nécessité pour devenir. Libre. Mais aussi femme, écrivaine et guerrière.
Retenez ce titre, Crazy Brave, retenez ce nom Joy Harjo et ces cent soixante cinq pages d’une puissance folle. Incandescente. Portant en lui la colère autant que l’amour et un vibrant hommage d’une femme à sa famille, à son peuple, à la création artistique sous toutes ses formes. Car l’art répare et sauve…
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Crazy Brave
de Joy Harjo
traduit de l’anglais par Nelcya Delanoë et Joëlle Rostkowski
Publié le 22 janvier 2020 aux éditions Globe
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