[dropcap]D[/dropcap]ans L’enquête de Juan José Saer, deux endroits, deux temporalités, deux climats et deux récits s’entremêlent formant un ensemble dense et vertigineux. Les enjeux psychologiques qu’on y trouve démultiplient l’épaisseur fictionnelle de l’œuvre de Saer. Incursion dans le polar, le maître argentin déroule ici un roman ludique. Le premier récit nous plonge dans l’enquête du commissaire Morvan sur des meurtres en série de vieilles dames se déroulant au cœur de Paris. L’autre récit est celui d’un groupe d’amis en Argentine qui rend visite à la fille d’un écrivain pour y voir un dactylogramme, sorte de manuscrit d’origine inconnu sur lequel les amis s’interrogent.
Nous sommes embarqués dans des méandres romanesques où les points de vue et les basculements narratifs se multiplient.
Nous sommes embarqués dans des méandres romanesques où les points de vue et les basculements narratifs se multiplient. L’histoire de Morvan qui inaugure le livre est en fait raconté par Pigeon l’un des amis en Argentine, attablé à la terrasse d’un restaurant italien. C’est lorsqu’il est interrompu par Tomatis, l’un des amis argentin de Pigeon, que l’on s’en rend compte. Ces effets narratifs en masquent d’autres. On imagine Juan José Saer travaillant son roman comme il confectionnerait un mécanisme d’horlogerie avec comme matériaux principaux sa langue évocatrice et son imaginaire. La puissance de la phrase de Juan José Saer sert ici un jeu passionnant où nous aimons prendre notre temps.
Ce jeu est celui d’élucider les mystères que nous raconte le roman. Tout comme Tomatis qui se permet de donner son point de vue sur le récit de Pigeon, la lecture tente de saisir les enjeux du récit que Juan José Saer manipule tel un marionnettiste. L’écrivain argentin semble jouer avec nous pour faire ressentir son exil. Ayant vécu entre Paris et Buenos Aires, il place son roman entre deux lieux et surtout deux climats. Tandis que tombe la neige sur Paris, il tombe des orages d’été en Argentine. Ces deux climats nous placent dans un chaud-froid revigorant comme une bonne douche écossaise.
Juan José Saer est l’un des grands écrivains du XXème siècle que Le tripode fait bien de rééditer. Avec L’enquête écrit en 1996, il prend l’allure d’un Simenon pour mieux faire perpétuer la tradition labyrinthique du grand Borges.
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L’enquête de Juan José Saer traduit par Philippe Bataillon
Réédité par les éditions Le tripode, octobre 2019
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