Les livres drôles ne me font jamais rire. Je m’y ennuie vite. Pourtant, à la lecture de La disparition du monde réel, je me surprends à ricaner (je signale que ricaner, dans mon espace mental et littéraire, est une activité absolument joyeuse et honorable). Rire franc et sincère, rire étonné et gourmand !
Marc Molk manie l’humour comme certains la poétique ou l’illusion.
Marc Molk, dissèque les quelques jours de cohabitation d’un groupe d’amis, de vieux amis, comme on parle d’un vieux couple. Le héros, père divorcé, amer, rongé par son incapacité au réel entame cette période de villégiature amicale (idyllique sur le papier, immuable) comme un combat de boxe (contre lui–même ?) et ça ne va pas aller en s’arrangeant, car il est bien connu que ceux à qui l’on peut le plus faire payer ses incapacités sont les amis, les vieux amis capables d’encaisser nos sautes d’humeurs, nos ratages, nos aigreurs, notre lucidité.
Notre héros confronté à ses échecs, trimbale son regard et son corps parmi les égarements et secrets de ses proches. Un été dramatique, un été pour vieillir, changer, renoncer.
Ça s’effrite sous la plume blagueuse de Marc Molk qui par petites touches minutieuses analyse les moindres faits et gestes, lâchetés, bassesses humaines, les sursauts intimes inavouables (le baiser raté toujours regretté, les intrigues du huis clos amical dont personne n’est dupe).
Malgré cette humour acéré, cette auto dérision absolument jubilatoire, ce que l’on retiendra de cet été de fin de réel est la bienveillance, oui, l’auteur utilise l’humour corrosif et la nostalgie pour démontrer qu’au-delà des rancœurs, la bienveillance est le fondement de l’amitié.
On se demande, quand même, si dans une autre vie Marc Molk n’a pas été auteur de roman érotique.
On se questionne, on se regarde, on dissèque et ça donne les plus grandes pages jamais écrites sur cette question que nous nous posons toutes et pour lesquelles nous remercierons indéfiniment l’auteur: «Mais à quoi pense-t-il pendant qu’il fait l’amour pour la première fois avec la fille «sublime » qui a enflammé la piste de danse au concert de son meilleur ami et qui accessoirement deviendra sa femme ?».
Ces pages 79 à 84 valent tes 10 ans de compulsion du supplément BIBA ÉTÉ SPÉCIAL SEXE. Et il t’aura fallu attendre 33 ans pour savoir que OUI, l’homme est une femme comme les autres, et que ce à quoi il pense la première fois qu’il fait l’amour avec la fille « sublime qui a enflammé la piste de danse au concert de son meilleur ami et qui accessoirement deviendra sa femme » ben c’est à la même chose que toi : la peur du ridicule, la couleur des sous-vêtements, le trajet le plus simple possible sur le corps de l’autre pour ne pas l’effrayer mais pour lui montrer que quand même c’est chouette, là, tout d’suite maintenant.
On pense à une filiation, une camaraderie, un petit goût de Martin Page derrière cette humour teinté d’une mélancolie amère.
On remerciera le travail des deux éditrices de la collection Qui vive chez Buchet-Chastel, Sophie Bogaert et Eva Dolowski, pour leur travail de « dénichage » et pour la qualité de leur catalogue éclectique et contemporain. Passant de textes classiques rares et délicats comme celui de Laurence Werner David, paru en début d’année 2013 A la surface de l’été à cette prose générationnelle, drôle et mélancolique de Marc Molk.
Le pitch :
« Dans un grand mas provençal, une bande d’amis passe un nouvel été. Les vacances se terminent, la quarantaine est là, l’amitié tire sur la corde. Malgré l’humour et l’ivresse, le désenchantement gagne. Comment échapper à la tristesse des choses auxquelles on ne croit plus ? L’amertume fait-elle de nous des orphelins ? Sous la familiarité estivale pointent cauchemars et bad trips : quand les peurs et les fantasmes prennent le dessus, voilent les évidences et font vaciller le simple sentiment de réalité. »