[box] Un conte de fées qui se termine dans un tunnel la nuit, sur une voie rapide en pleine ville au bord d’un fleuve. Une voiture entre dans un pilier, prend feu, et la princesse meurt brûlée vive. Ce n’est plus à présent qu’un cadavre encastré dans la tôle. Voilà ce que c’était Diana, pour moi, et pas seulement pour moi je pense. Quand même, je m’étais dit, c’était une drôle d’idée d’avoir nommé sa fille comme ça, ils ne pouvaient pas ne pas y avoir pensé. Mais peut-être que ça m’est venu après les premiers doutes, et c’était devenu obsédant. Ça se superposait à l’image de l’enfant dans ma classe, souriante et naïve – l’image d’une princesse dans une tôle carbonisée, froissée la nuit contre un pilier, dans un tunnel. (p.55)[/box]
La maladroite est un de ces livres que l’on appréhende franchement d’ouvrir mais que l’on repose cent vingt pages plus loin, ému et bouleversé comme jamais. Faire d’une enfant de huit ans morte sous les coups de ses parents le personnage central de son premier roman pouvait s’avérer un pari risqué pour Alexandre Seurat. Le lecteur a plutôt tendance à se protéger, à mettre des barrières entre lui et l’horreur, d’autant plus si l’ intrigue est tirée d’un fait réel. Et le lecteur aura donc tendance à reposer le livre sur l’étagère. Ce serait une erreur. En livrant ce témoignage à travers différentes voix anonymes mais clairement identifiées – la grand-mère, l’institutrice, le médecin, le gendarme ou encore le frère – Alexandre Seurat raconte le calvaire de la petite Diana sans jamais tomber dans le pathos ou le voyeurisme. Il décortique les rouages de la culpabilité, prête la voix à ces témoins impuissants et retrace la courte existence de cette petite victime à la manière d’un rapport d’enquête, clair, concis et implacable.
Tous essaient de se justifier, se repassant ainsi le fardeau du secret jusqu’au dénouement final si prévisible, qui sonne ici comme une délivrance pour la maladroite. Personne n’aura été capable de faire parler cette fillette volubile mais murée dans le silence dès qu’il s’agit d’évoquer les traces sur son petit corps.
La maladroite est un court roman, fort et poignant, qui laisse une boule au fond de la gorge et qui témoigne de la difficulté d’une société à confondre les tortionnaires et surtout à protéger les victimes.
Le premier roman d’Alexandre Seurat est un livre absolument nécessaire qu’il faudra défendre et faire lire pour briser le silence et affronter une terrible réalité à laquelle chacun peut être un jour confronté.
La maladroite, Alexandre Seurat, Éditions du Rouergue, Août 2015.