Nous sommes irrémédiablement des êtres de langage et trois belles et récentes sorties en format poche, deux nouvelles traductions de classiques ainsi qu’un roman autobiographique, permettent d’en prendre la mesure.
Tenir sa langue de Polina Panassenko – Points seuil, 1er septembre 2023
D’abord le récit autobiographique de Polina Panassenko, Tenir sa langue, dans laquelle elle raconte le combat intérieur entre deux langues, sa langue maternelle le russe et sa langue d’adoption le français. Née Polina en URSS, elle devient Pauline lors de son arrivée en France. Une francisation du prénom destinée à parfaire son intégration. Mais Polina ne veut pas renoncer à parler russe ( elle finira adulte par obtenir la restitution officielle de son prénom) et elle va donc s’acharner à compartimenter dans sa tête chacune de ces langues en parvenant non seulement à parler un français d’une perfection absolue et sans aucun accent, mais en conservant en elle secrètement ce russe qui fait son identité et auquel elle n’a jamais renoncé. Un très beau témoignage, couronné par le prix Femina des lycéens en 2022, sur le rapport à la langue d’origine de tous les migrants, écartelés entre l’oubli d’une langue et l’indispensable conquête d’une autre.
Les oiseaux de Tarjei Vesaas – Traduit par Marina Heide – Babel, 6 septembre 2023
Sans doute le chef d’oeuvre de Tarjei Vesaas, Les oiseaux, un texte bouleversant qui marque une vie de lecteur. Sa nouvelle traduction par Marina Heide, en Babel, est une belle opportunité pour faire connaissance ou redécouvrir Mattis, personnage inoubliable. Mattis vit avec sa sœur Hege et tous les deux ont presque la quarantaine. Ils n’ont plus leurs parents et c’est Hege qui tente de les faire vivre, en tricotant inlassablement des chandails, en essayant de maintenir la misère à distance. Mais Mattis lui, est lent, simple ; lent avec son esprit, économe de mots, plus apte au rêve qu’au travail. Mattis voit tout ce que les autres ne voient pas ou ne voient plus, parle une langue différente, perçoit dans le monde d’autres couleurs. Dans son univers les choses, les arbres, les animaux, tout a un sens, tout nous parle pour peu qu’on y soit attentif; Alors depuis son monde à lui, avec ses propres mots, avec sa sensibilité extrême il dira à sa soeur combien elle est tout pour lui au travers d’un acte d’amour aussi déchirant qu’exceptionnel.
Des souris et des hommes de John Steinbeck – Traduit par Agnès Desarthe – Folio, 15 juin 2023
Il ressemblerait assez à Mattis, ce grand gaillard de Lennie. Lui, ce sont les mots de George qu’il n’arrive pas à mémoriser, des mots qui pourtant lui disent quoi faire, lui expliquent comment se comporter, ou ce qu’il vaudrait mieux ne pas dire, ne pas faire. Des mots qui voudraient protéger, des mots d’amis, des mots qui racontent aussi. Mais il y a aussi ce qu’il faudrait vraiment oublier; ces vilains ennuis dont George a tiré Lennie et qu’ils ont enfin laissé derrière eux. Alors vers le ranch où ils se dirigent, où ils vont travailler, George espère vraiment que cette fois Lennie ne recommencera pas. Cependant tout va déraper, Lennie va essayer de se maitriser, de contenir ce torrent bouillant en lui, de garder présente en tête la voix de George qui sait toujours ce qu’il faut faire …. Mais…
Redécouvrez en Folio ce texte mythique de Steinbeck, Des souris et des hommes, dans une nouvelle traduction inédite d’Agnès Desarthe .