Lors des prochaines semaines je vous parlerai de quelques titres parus pour la rentrée littéraire.
Il ne s’agit pas forcément de traductions, pas toujours, mais de textes qui m’ont interpellée, qui parfois se répondent et même se complètent. L’Est européen y est toujours présent.
J’ai été emportée, émue, j’ai pleuré de rire et j’ai pleuré tout court avec
Tenir sa langue de
Polina Panassenko aux
éditions de l’Olivier. Sa langue est virevoltante, irrévérencieuse – comment pourrait-il en être autrement lorsqu’il faut prouver à une administration que le prénom de naissance est préférable à celui francisé par souci parental d’intégration ? La langue est justement au cœur de ce récit aussi direct et frontal que la rencontre d’une petite fille russe avec la “materneltchik” française. Une vie qui enjambe le continent européen et fait fi des alphabets par la force des choses, une voix qui raconte d’autres vies que la sienne sans laisser le tragique prendre le pas sur l’ironie salvatrice :
“Quand je raccroche, je note ce que ma tante a dit. Je le note parce que sinon quand son judaïsme se remet à clignoter, j’ai l’impression que c’est moi qui l’invente. Ma tante dit qu’il fallait le taire à l’école et qu’elle l’a tu, mais je crois qu’elle le tait encore.
Zokhanveille. Je le cherche sur des forums, j’essaie les traductions en ligne, je l’écris en phonétique, en cyrillique. Je finis par le trouver. Azohen vey. ( … ) Ce n’est pas une insulte. Ca veut dire : Hélas.”
Auteur
Car il y a certes la double culture russo-française mais, de loin, remonte l’identité juive, cachée sous les noms russes par instinct de survie :
“A la naissance de mon père, ma grand-mère a changé son prénom. Elle l’a russisé. Pour protéger ses enfants. Pour ne pas gâcher leur avenir. Pour leur donner une chance de vivre un peu plus libres dans un pays qui ne l’était pas. Sur l’acte de naissance de mon père, Pessah est devenue Polina.
Alors je vous demande : quand vous n’avez plus de nom, que vous n’avez plus de langue, que reste-t-il de votre identité ? Que reste-t-il de votre passé, du passé des vôtres ? Et comment fait-on pour se réapproprier sa vie ? A marcher dans des chaussures d’emprunt, on finit par boiter.
Polina Panassenko joue avec l’espace, avec le temps et avec la langue sans qu’une seule fois le lecteur ne soit perdu. Elle nous fait traverser le siècle et le continent à plusieurs reprises, de l’appartement soviétique jusqu’à Saint-Etienne et de la datcha familiale jusqu’à Montreuil, comme dans un jeu de marelles dont le but est celui de rassembler les morceaux d’une identité. De renaître, peut-être. Et de porter plus loin cette mémoire reconstituée. Que jamais elle ne tienne sa langue !
Tenir sa langue de Polina Panassenko
éditions de l’olivier, Août 2022
Image bandeau : Photo by Darya Ogurtsova on Unsplash