[mks_pullquote align= »left » width= »700″ size= »22″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#898989″]« C’est un décor sans issue. Les montagnes découpent l’horizon, la forêt nous cerne de toute part et la neige crève les yeux. »
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[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#788785″]C[/mks_dropcap]e roman nous arrivant tout droit du Québec se déroule certainement en ces contrées pleines de la saison blanche, mais il pourrait tout aussi bien prendre place dans l’une de nos bourgades nationales, là où la neige aime officier généreusement.
Car c’est bien cette poudre immaculée qui façonne l’intrigue et ses rares protagonistes. Elle tient en joug tout un village, déjà coupé du monde depuis plusieurs mois par une panne d’électricité. Les habitants s’organisent tant bien que mal en rationnant les vivres, en partageant les tâches et en priorisant les services rendus…
C’est pourquoi l’on demande à Matthias de s’occuper de l’homme accidenté venu s’échouer jusqu’à eux, en échange d’un approvisionnement en bois et denrées alimentaires.
Vieillard résidant dans la maison la plus en retrait, Matthias n’accepte notre narrateur alité qu’afin d’obtenir une place dans le convoi qui, au printemps, devrait partir en direction de la ville la plus proche, où il espère retrouver sa femme. Commence alors pour les deux hommes un tête-à-tête aussi rigoureux que le froid qui les étreint.
Hein, où penses-tu aller ? Il n’y a nulle part où aller. On nous a abandonnés. Regarde, je te dis ! Regarde tant que tu veux ! Il n’y a plus rien à voir. Nous sommes pris au piège dans une mer de glace. Vingt mille lieues sous l’hiver.
Les flocons virevoltant sans fin sont comme les grains de sable d’un sablier qu’on ne cesserait de retourner. Le temps s’égrène sans pour autant passer. Il réduit les êtres à leur condition organique, leur offrant pour seul horizon quotidien une lutte contre le froid et la faim. Chaque chapitre s’ouvre sur un nombre semblant correspondre aux centimètres de neige sous lesquels les âmes continuent d’être ensevelies.
Entre notre conteur infirme et son gardien malgré lui, c’est une partie d’échecs oppressante qui se joue, avec pour seul damier les affres de l’attente.
La douleur est un oiseau de proie qui me tient dans ses serres.
Les quelques visites brisant leur compagnonnage forcé apportent avec elles les rancœurs latentes qui sapent la solidarité de mise. Face à une nature aussi magnifique qu’inhospitalière, le village devient un microcosme mis sous verre où les blessures intimes et l’orgueil de chacun se disputent l’hypothermie générale.
Dès lors un dégel est-il possible, et même souhaitable ?
Cette fable de givre nous est livrée dans une langue brute où chaque mot semble prêt à voler en éclats sous le poids de l’intention sourde qu’il abrite.
Christian Guay-Poliquin échappe ainsi aux intrigues psychologiques classiques du huis clos pour mieux s’adonner à un labyrinthe poétique où erre seulement le lecteur qui le décide.
Une esthétique froide pour des personnages en pleine combustion intime : impossible de rester de glace à l’issue de ce roman aussi dur que sensible.
Lauréat, entre autre, du Prix France-Québec 2017, Le Poids de la Neige, initialement paru en 2016 aux éditions La Peuplade (Canada), est à découvrir en librairie aux Éditions de l’Observatoire, à partir du 10 janvier.