[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#d13060″]D[/mks_dropcap]eux ans après le très beau roman La Villa des Femmes édité aux Éditions du Seuil, et couronné fort justement du prestigieux Prix Jean Giono, Charif Majdalani nous revient pour cette rentrée avec un nouvel opus au long cours.
Là où le précédent ouvrage se tenait sur quelques personnages clefs, cette fois-ci nous plongeons dans une grande fresque familiale s’étalant sur deux siècles et sept générations. On observera tout de même une similitude notable dans les deux ouvrages : nous y retrouvons le thème du poids de l’héritage familial comme source aux deux intrigues.
Dans La Villa des Femmes, à la mort du patriarche richissime homme d’affaire, le narrateur, un modeste chauffeur, est le témoin des discordes des trois femmes de la famille, la mère, l’épouse et la fille. Avec le temps, cet homme à tout faire avait gagné le respect du grand homme, mais à sa disparition, les femmes ne l’écouteront pas et ne lui adresseront que du mépris, un dédain de classe social inopportun.
Il aura beau leur conseiller d’attendre le retour du fils prodigue (parti en voyage sans date de retour) plutôt que de laisser les clefs de l’entreprise à l’aîné (incapable d’en tenir la gestion et l’emmenant ainsi à sa perte), rien n’y fera, elles ignoreront son avis, le laissant alors spectateur de la lente agonie des richesses de la famille vers la faillite.
Dans L’Empereur à Pied, paru également aux Éditions du Seuil, Charif Majdalani brosse le portrait d’un homme qui a fait fortune dans des circonstances nébuleuses et peu flatteuses. Il a trois fils et va prendre la décision terrible et lourde de conséquences : seul l’aîné aura le droit de se marier afin d’éviter la dispersion de la fortune familiale, les autres devront le servir ou partir.
Ainsi débute cette mythologie familiale qui fera voyager le lecteur en Italie ou encore au Mexique : l’exil étant devenu la seule porte de salut pour les deux frangins condamnés. Ils sont imprégnés d’un esprit de vengeance face à ce coup du sort, veulent tenter leur chance dans le but de montrer qu’ils sont capables également de créer leur propre entreprise et faire leur fortune.
La saga est enrichie aussi des relations de famille comme ces oncles qui ont prospéré ou au contraire ont échoué. L’histoire de cette famille est mise en perspective avec la grande Histoire, celle du Maghreb et et du Moyen-Orient avec les guerres de colonies, les influences des empires arabes et européens.
C’est un livre époustouflant et foisonnant de personnages, des entrepreneurs d’un autre temps, ceux qui ont fondé à partir de rien des empires colossaux. Les inimitiés entre frangins, le goût des rancœurs participent à cette épopée faite de rebondissements, d’ascensions et de chutes vertigineuses par des prises de décisions faites en dépit du bon sens, ou de malchance.
L’auteur est un fabuleux conteur qui nous brosse les destins de ces personnages. Chacun a sa part de gloire ou de défaite, ils ont leurs travers, leurs ambitions. C’est aussi l’histoire du Liban dans son ensemble, les moments délicats de l’Histoire de ce pays avec qui nous avons un passé commun, la décolonisation, l’affairisme et les scandales qui en ont découlé. Il faut saluer l’écriture de Charif Madjdalani, pleine d’érudition et d’élan romanesque. Elle est un vrai régal de lecture.
L’Empereur à Pied de Charif Majdalani
Éditions du Seuil – août 2017