Toutes les semaines jusqu’au 10 juillet, retrouvez une sélection hebdomadaire de conseils de lecture pour vous accompagner cet été.
[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#55A872″ type= »fa »] Le choix de Yann
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#55A872″]O[/mks_dropcap]n ne présente plus Tronchet, qui, depuis les années 80, n’a jamais cessé de dessiner, ni, ce qu’on sait un peu moins, d’écrire. L’album dont il est question aujourd’hui est l’adaptation d’un texte paru en 2007 aux éditions Elytis.
L’auteur y raconte son séjour de six mois à Madagascar en compagnie de son fils de 13 ans, Antoine, aimablement qualifié de « bombe à retardement » car en pleine adolescence. Pendant qu’Antoine poursuit sa scolarité et découvre la vie insulaire, Tronchet va devoir s’habituer à cette nouvelle existence et en particulier au fait de disposer de ses journées comme il l’entend, affronter la peur de n’avoir rien à faire et l’absence de connexion téléphone ou internet.
Même s’il manie toujours aussi bien l’autodérision, Tronchet nous a habitués depuis quelques années à un ton plus intimiste, voire mélancolique ou inquiet à certaines occasions. Il brille ici dans la description de ses rapports avec son fils qui lui échappe et dans l’analyse de son attitude en tant que père que la situation dépasse peu à peu, toujours bien trop vite à son goût.
On aura rarement lu phrases aussi justes sur le fait de grandir et la difficulté pour un parent d’accompagner son enfant dans ces périodes où l’incompréhension mutuelle semble être le maître-mot. « L’enfance, c’est une succession de crimes. Le petit enfant tue le bébé qu’il était … Puis l’ado tue l’enfant … Enfin, le jeune tue l’ado. Les parents doivent assister à ces meurtres successifs en aimant autant l’assassin que sa victime. » Tronchet évite l’auto-apitoiement et son humour salvateur permet à cet album de trouver un bel équilibre entre émotion et légèreté.
Robinsons père et fils par Tronchet
Delcourt, 2019
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[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#9A033E » type= »fa »] Le choix d’Adrien
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9A033E »]B[/mks_dropcap]ienvenue à Villeradieuse ! Ici,deux clans font régner la terreur dans les rues avec meurtres et autres explosions. Manuel vit dans cet univers et se débrouille comme il peut pour passer à travers les balles. Mais lorsqu’il se met à récupérer à la morgue les vêtements de marque à bas prix, débute pour lui une descente aux enfers. Luis Miguel Rivas signe avec Le Mort était trop Grand une comédie sarcastique sur un univers qui résonne avec sa Colombie natale.
L’auteur enchaîne les péripéties les plus absurdes avec des personnages remplis de contradictions, voulant autant aimer que tuer leurs prochains. C’est un univers masculin mais il y a aussi des figures féminines fortes qui tentent de s’imposer ou simplement de vivre paisiblement. Par exemple, les mères des gamins de Villeradieuse ont beau ne pas être écoutées, elles veillent au grain pour éviter le pire. Mais dans cette ville d’Amérique du Sud, le pire est toujours possible.
Le Mort était trop Grand de Luis Miguel Rivas traduit de l’espagnol (Colombie) par Amandine Py
Paru aux éditions Grasset le 17 avril 2019
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[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#33cccc » type= »fa »] Le choix de L’Ivresse Littéraire
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#33cccc »]I[/mks_dropcap]maginez un monde vidé de ces ressources. L’Homme-roi a tout détruit. L’a épuisé jusqu’à la dernière pousse ou presque.
Dans ce monde aux allures apocalyptiques, les Hommes se sont implantés mille nanotechnologies. Vivre, vivre toujours plus vieux, toujours plus fort. Le chaos règne partout y compris dans le cœur de Phaedra. Un cœur asséché de l’amour maternel. Mais un cœur qui bat grâce à Pablo. Un cœur qui bat pour élever parfois maladroitement sa fille, Bellone. Bellone qui n’a jamais vu la mer. Jamais observé les animaux. Libres et vivants. Bellone qui a grandi aux côtés de Boozer, l’attendrissant premier Artilect.
Pablo est leur socle, mais aussi celui que se bat pour que la Terre soit sauver. Pas par l’Homme, trop égoïste mais par les Artilect. Sorte de robots améliorés, dotés d’une intelligence dépourvue de tout égoïsme, de tout vice mais sensibles malgré tout. Créés pour être en harmonie avec la nature. La respecter. Ils sont l’avenir.
Mais les Hommes, encore là, pourchassent. Comme des prédateurs. Leurs semblables et les machines. Garder le pouvoir à tout prix. Récupérer les technologies pour se les implanter. Quitte à suinter de partout.
Alors il faudra fuir le danger. Non sans conséquences. Et apprendre à vivre dans le noir. Le bunker. Laisser les Artilects prendre le relais. S’organiser.
« Vous auriez pu préparer la sortie du pétrole, vous auriez pu faire face aux changements climatiques, aux mouvements de populations, aux pillages des océans, aux fausses raisons qui ont créé les vrais conflits, à l’effondrement mondial du QI. Vous auriez pu vous engager au lieu designer des pétitions au fond de vos canapés. Mais vous aviez oublié comment vous révolter. Volatilisé, le gout de la liberté, comme celui de l’eau salée au creux du poignet. J’ai jamais vu la mer , moi, grâce à vous. Jamais descendu les champs-Élysées, jamais pu déambuler seule, sans but, un soir d’été au milieu des prés. Des animaux, jamais vu autre chose que des charniers . Maman m’a parlé des abeilles et de la chaine alimentaire, je devais avoir six ou sept ans, et j’ai compris l’effet de causalité. Qu’est-ce qui vous à échappé ? Comment votre regard a-t-il pu se détourner à ce point de l’endroit ou vous viviez ? »
Bien au-delà d’un roman d’anticipation, Juliette Bouchet nous livre un roman engagé. Un roman qui crie notre monde dégueulant de pouvoir, d’irrespect, de sauvagerie, de folie. Et en parallèle notre besoin d’unité. Avec une plume vive, percutante non dénuée d’humour et de musique, elle aborde ce qui nous compose et ce qui composera notre demain. L’amour, l’individualisme, la filiation, la féminité, les non-dits, l’incompréhension. Mais aussi l’intelligence artificielle, le transhumanisme, la survie, la migration. Rien n’est laissé au hasard et tout est merveilleusement imbriqué dans ces pages aussi denses que prenantes.
Mon cœur vient du désert d’Atacama est ce roman fictionnel qui nous fait prendre conscience de notre réalité d’aujourd’hui et peut-être de demain, si nous ne faisons rien.
Mon coeur vient du désert d’Atacama de Juliette Bouchet
Paru aux éditions Sable Polaire en mars 2019
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[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#E93318″ type= »fa »] Le choix de Yann
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#E93318″]L[/mks_dropcap]e passage d’un roman au format poche a ceci d’intéressant (outre, bien sûr, une baisse de prix notable) qu’il nous offre une seconde chance de découvrir un titre à côté duquel on est passé lors de sa sortie initiale.
C’est le cas avec ce quatrième roman de Pierre Ducrozet qui constitue une excellente occasion de bronzer intelligemment, ne boudons donc pas notre plaisir. Récompensé par le prix de Flore en 2017, L’Invention des corps réussit l’exploit d’aborder en 300 pages des thèmes aussi différents que le massacre d’Iguala, au Mexique, en 2014, le développement du transhumanisme dans la Silicon Valley, la création et l’explosion d’internet ainsi que, parallèlement, l’apparition des premiers hackers jusqu’aux Anonymous. Exploit car, sans trop en faire, Pierre Ducrozet mène son histoire avec rigueur et ne se perd pas dans des démonstrations pesantes. A travers le destin d’Alvaro, jeune exilé mexicain aux États-Unis, le jeune auteur livre un récit tendu (le premier chapitre est, à ce niveau, exemplaire) tout en proposant une réflexion sur le monde actuel et les possibilités qui s’offrent à l’Homme de viser l’immortalité. Il dépeint ainsi un tableau effrayant de ces grands pontes de la Silicon Valley, apprentis sorciers milliardaires que l’éthique n’étouffe pas et qui envisagent une vie éternelle sur les îles qu’ils se font construire au large de la Californie.
En faisant un parallèle entre le fonctionnement du corps humain et celui d’internet, Ducrozet situe clairement son roman dans notre époque, ce moment de tous les possibles, de la pure utopie au pire cauchemar. Pierre Ducrozet est un virtuose et son récit ne souffre d’aucune longueur, entraînant sans répit le lecteur dans les pas de ses personnages, à travers le monde comme sur le réseau, offrant un texte à lire ou relire car peu nombreux sont les romans qui conjuguent aussi bien rythme et intelligence, suspense et réflexion sur l’état du monde.
L’invention des corps de Pierre Ducrozet
Paru chez Actes Sud, sortie en collection poche Babel, printemps 2019
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[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#9D7B33″ type= »fa »] Le choix de Barriga
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9D7B33″]Q[/mks_dropcap]u’est ce qui fait que l’on se sent heureux dans notre vie, qu’est ce qui contribue à notre bonheur ? Chacun aura sa réponse à cette question en fonction de ses envies, ses exigences de réussites personnelles, du sentiment de félicité dans notre existence. Certains verront leur bonheur parce qu’ils ont une belle maison, une grosse cylindré, une réussite professionnelle rémunératrice, pour d’autres la joie d’une famille aimée sera le climax de leur plénitude. Cette échelle de mesure qui va de un à dix évolue au gré de notre quotidien et des aléas que nous traversons. Daniel, le héros de ce roman est le pur produit de cette classe sociale frappée de plein fouet par la crise économique qui sévit au Portugal, qui traverse une désillusion profonde et qui se pose beaucoup de question au sujet de son propre bonheur.
Le début du livre est lourd, nous suivons les pas de Daniel, le narrateur de ce roman qui se confie, un homme qui perd son emploi, en retrouve un autre très précaire mais ne parvient pas à joindre les deux bouts et de mettre à l’abri du besoin sa famille. Au même moment sa femme et ses enfants vont s’éloigner de lui pour se préserver. Il parvient à vendre son appartement qui était le symbole de sa réussite, tous ses amis qu’il côtoie traversent des situations compliquées faites de chômage et de souffrance sociale, voire d’isolement, Et pour ne rien arranger son fils adolescent bascule petit à petit dans la délinquance. Mais le roman ne sombre pas dans le misérabilisme, bien au contraire. David Machado est un formidable conteur. Malgré les difficultés, Daniel ne perd pas espoir de s’en sortir, il sent que la roue va tourner, il suffit de continuer à se battre même si c’est pour vivre un certain temps dehors, de dormir dans sa voiture, notre homme est habité par un souffle optimiste qui nous fait lire ses déboires comme une comédie douce amer,
La dernière partie du livre bascule de manière inattendue dans un road movie solidaire qui va permettre de renouer les liens de Daniel avec son fils, et parcourir une partie de l’Europe dans une aventure haute en couleur. On embarque dans une sorte de Little miss Sunshine lusophone drôle et touchante. Une atmosphère de feel good book transpire entre les lignes, un capital sympathie s’installe aisément entre les personnages de cette épopée.
Il émane de ce roman social à la Ken Loach, une ode à la débrouillardise, à l’entre aide entre les hommes quand chacun d’entre nous rencontre une période difficile. Beaucoup de chaleur humaine transparaît entre les lignes en filigrane car nous sommes touchés par ces personnages humbles et courageux.