L’équipe des chroniqueurs littéraires a décidé de faire une sélection des livres de poche qu’ils vous conseillent vivement de vous procurer pour vous accompagner cet été.
Les Conseils de Delphine :
Manuel de survie à l’usage des incapables
Thomas Gunzig, Folio, février 2015.
Jean-Jean est agent de sécurité dans la grande distribution. Dans le supermarché où il travaille, il est formellement interdit aux employés d’entretenir des relations autres que professionnelles. Lorsqu’il convoque Martine Laverdure dont la liaison avec un employé vient d’être découverte, cette dernière a la mauvaise idée de mourir le crâne fracassé sur la table en verre « modèle Grana de chez Ikéa » dans le bureau du DRH. Un regrettable accident. Enfin pas pour les fils de Martine, quatre jeunes loups assoiffés de vengeance qui ne vont avoir qu’une seule idée en tête : traquer l’assassin de leur mère.
Manuel de survie à l’usage des incapables est un thriller déjanté et absolument génial sur fond de misère sociale et de grande distribution. C’est un livre délicieusement incorrect et complètement addictif qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page. Un seul conseil : lorsque votre dernière heure sonnera, pensez à emporter avec vous une clé ALEN !
Les brumes de l’apparence
Frédérique Deghelt, Babel, juin 2015
Gabrielle, quarante ans, est une citadine pure et dure. Lorsqu’elle apprend qu’elle vient d’hériter d’une terre au beau milieu de nulle part, elle est bien décidée à s’en débarrasser au plus vite. Elle se rend sur place, déteste les lieux au premier coup d’œil mais elle est contrainte de rester sur place. Après une nuit agitée, peuplée de rêves les plus étranges, elle doit se rendre à l’évidence : certains lieus et certaines personnes peuvent entretenir avec l’au- delà une relation très particulière. Et qu’elle aussi ne sera pas épargnée…
Dans un livre étrange mais lumineux et très apaisant, Frédérique Deghelt explore les liens qui peuvent unir notre monde à celui des disparus et fait de cette histoire un merveilleux roman d’aventures. L’auteur de La grand-mère de Jade et de La vie d’une autre n’en finit pas de se renouveler, de surprendre et nous offre, une fois de plus, un très bon moment de lecture …
Le conseil de Velda :
Petite louve
Marie Van Moere, Pocket, juin 2015
De vengeance en cavale…
Avec ce très beau roman, Marie van Moere fait son entrée directement dans la cour des grands du roman noir. Petite Louve, c’est l’histoire d’une vengeance et d’une cavale. Agathe vient d’éliminer celui qui a brisé sa vie en violant et en torturant sa fille de 10 ans. « Recroquevillée, mordue, rompue, tuméfiée ». Violée, massacrée sur le chemin du retour de l’école. La Petite a survécu, mais elle est anorexique, fragile. Quelle est la plus fragile des deux, la mère ou la fille? Les deux s’enfuient pour échapper à la vengeance de la famille du violeur. C’est en Corse qu’elles vont trouver refuge. Marie Van Moere écrit sans affèterie, mais sait laisser libre cours à un lyrisme sensuel extrêmement séduisant lorsqu’elle parle de la nature, des sensations, des émotions. Elle sait aussi dire la violence avec rage et véhémence. L’histoire qu’elle nous raconte, cruelle, effrayante, tendre aussi, a la beauté contrastée de ses deux héroïnes, et nous laisse émus, la gorge presque nouée, sous le charme.
Les conseils de Yan :
L’homme qui a vu l’homme
Marin Ledun, J’ai lu, janvier 2015
Avec ce qui est sans doute jusqu’à présent son roman le plus abouti, Marin Ledun se penche avec un regard acéré sur la « guerre sale » qui agite le Pays basque. S’inspirant librement de la disparition en 2009 de Jon Anza, militant de l’ETA dont le corps ne refera surface que des mois plus tard dans la morgue d’un hôpital toulousain, Ledun se penche par le biais du regard de son héros, Iban Urtiz, journaliste peu au fait des méandres du conflit basque, sur la façon dont chacun, barbouzes espagnols, police française, justice ou etarras tentent de tirer leur épingle du jeu de massacre auquel ils participent.
Remarquable d’intelligence, de sobriété mais aussi d’efficacité, L’homme qui a vu l’homme est un roman terriblement accrocheur. Une lecture à la fois trépidante et édifiante.
Triggerfish Twist
Tim Dorsey, Rivages/Noir, 2008
Oui, bien entendu, on remarquera que ce roman ne date pas de 2015. Ce n’est pas grave il est intemporel. Et puis il n’y a pas mieux pour passer un bon moment sur sa serviette. Voici donc la famille Davenport qui a quitté l’Indiana afin de trouver une vie meilleure et plus ensoleillée, direction Tampa, Floride, qui, par la faute d’un stagiaire qui s’est trompé en plaçant une virgule, est passée de la 497ème à la 3ème place du classement des villes où il fait bon vivre aux États-Unis. Et Jim et Martha Davenport de goûter à ce qui fait le sel de la Floride : une population de tarés. Des voisins qui contournent les restrictions d’eau en arrosant leurs pelouses la nuit en treillis de camouflage, des agents immobiliers véreux, des marchands pourris de voitures d’occasions, des trafiquants de drogue – le fameux Cartel de Mierda – complètement incapable et surtout Serge A. Storms. Schizophrène, paranoïaque, psychopathe et obsédé par l’histoire de la Floride, Serge, héros de tous les romans de Tim Dorsey, va, de par sa folie mais aussi ses acolytes, Coleman le neuneu alcoolique et camé et Sharon la bombe anatomique accro au crack, remettre de l’ordre dans le voisinage des Davenport. Complètement fou, déjanté, violent et hilarant à la fois, Triggerfish Twist est un roman qui part dans tous les sens mais qui finit toujours par retomber sur ses pattes. Complètement dingue.
Les conseils de Barz :
Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn
Ben Fountain, traduit de l’anglais par Michel Lederer, 10/18, 2014.
Quelques vétérans d’Irak reviennent aux États-Unis pour fêter leur exploit vu et commenté sur Youtube par des millions d’américains. Les jeunes soldats sont devenus des héros et leur tournée d’honneur prend, petit à petit une tournure grotesque, notamment lors d’un match de football américain auquel ils sont invités pour participer aux grandes festivités de la mi-temps : pom-pom girls, musique, son et lumière… À peine ont-ils le temps de voir leur famille, les embrasser et se délivrer de leurs souvenirs de guerre qu’ils doivent, contre toute attente, se préparer à retourner sur le champ de bataille. Ben Fountain dresse avec ce premier roman un portrait acide, sulfurique et hilarant d’une Amérique belliqueuse qui ne sait pas comment aimer ses enfants.
En mer
Toine Heijmans, traduit du néerlandais par Danielle Losman, 10/18, 2014.
Donald, père de famille accablé par sa routine et son travail de bureau, décide de partir trois mois naviguer avec son bateau de plaisance. Sa femme et sa fille Maria le laissent partir en souhaitant qu’il se ressource et revienne plus fort, plus apaisé. Il propose à Maria de l’accompagner dans son bateau pour les deux derniers jours de son escapade. Un père apprenant à sa fille de sept ans à naviguer dans les eaux calmes de la mer du Nord est une idée qui ne réjouit par Madame, mais celle-ci finit par accepter. Malheureusement, tout ne se passe pas vraiment comme prévu, la météo tourne à l’orage et un incident de taille survient en pleine nuit.
Récompensé par le prix Médicis en 2013, ce court roman est d’une puissance émotionnelle redoutable et sonde aussi bien les angoisses de ses personnages que celles qui se télescopent sur le lecteur.
Le chat de Schrödinger
Philippe Forest, Folio, 2014.
Installé confortablement dans son jardin, l’auteur croit voir passer un chat dans l’obscurité naissante du crépuscule. Troublé par cette vision qui n’en était peut-être pas une, après tout ce n’était peut-être pas un chat mais un simple mouvement dans les feuilles, le narrateur va se mettre en quête de sonder ses perceptions et de les confronter aux grandes théories de la mécanique quantique. S’assumant comme un novice en sciences physiques et plongeant dedans en grand candide, Philippe Forest va prendre par la main le lecteur autant que lui-même pour l’accompagner dans un voyage réflexif sur les phénomènes invisibles à nos yeux qui ébranlent pourtant nos vies de façon durable. La mort de sa fille, comme dans la plupart de ses textes, est au centre de ses préoccupations, mais il voit cette fois-ci beaucoup plus large et offre une rêverie ludique, parfois hilarante, sans cesse bouleversante, bien sûr métaphysique, sur la réalité telle qu’on la perçoit, qu’on la comprend et qu’on la vit. Un livre absolument immense capable de nous accompagner toute la vie.
Le fémur de Rimbaud
Franz Bartelt, Folio, 2015.
La bonne comédie en littérature peut être une denrée rare, surtout si l’on attend d’elle qu’elle soit bien écrite, nous parle du monde, et surtout nous fasse nous pisser dessus. Franz Bartelt est un maître incontesté du genre et le prouve une nouvelle fois avec Le fémur de Rimbaud, histoire d’amour anarchisante entre un brocanteur mythomane et une fille d’aristocrates voulant faire table rase de ses racines. Rarement il nous a été donné à lire une romance aussi folle et pourtant aussi proche de ce que sont les coups de foudre et de folie provoqués par une rencontre explosive entre deux personnes que tout oppose mais qui vont choisir, pour s’unir, de s’opposer à tout. Les péripéties vont s’enchaîner sur un rythme frénétique et jamais l’incongruité des situations ne paraîtra aberrante tant il est nécessaire de croire que cette histoire est possible, car si ce n’est pas le cas, l’amour lui-même devient impossible. Franz Bartelt mériterait de devenir un auteur populaire tant sa langue est remarquable et son hystérie jubilatoire.
Sans oublier l’indispensable American Prophet de Paul Beatty.
Le conseil de Mohamed :
1937-1947 : la guerre-monde (tome I et II)
Collectif, Folio, 2015.
Le projet était ambitieux et le résultat à la hauteur de l’entreprise. L’idée était de sortir d’une certaine historiographie eurocentrée pour rendre à la guerre 39-45 (qui dans cet essai commence en 1937 pour se terminer en 1947) sa véritable dimension mondiale. Une cinquantaine d’auteurs français et étrangers ont eu à traiter de cette Guerre Monde sous tous ses aspects: sociologiques, philosophiques, polémologiques, géopolitiques, économiques et politiques.
On se doutait des profondes mutations que ce conflit a provoqué sur nos sociétés , cet essai en apporte les preuves et nous fait, encore mieux, appréhender la notion de guerre totale.
Il faut souligner le souci de l’éditeur de rendre financièrement accessible un travail d’une telle ampleur en le publiant directement en format poche.
Cet été n’oubliez pas de faire une petite place dans vos valises pour quelques livres de poche !