23/01/03
Longue tchatche avec Nico, du soleil dans nos voix, et déjà des chapelets de projets et de fantasmes (Nico n’a jamais été un homme fidèle).
Relation virtuelle avec Goethe, moi devant le miroir de mon armoire, nue en talons comme l’autre soir. Une jolie quinzaine de minutes.
Au téléphone, Aurélie me demande comment mettre Mimi au pas. Il y a encore des choses qu’elle n’a pas comprises.
24/01/03 08H12
Avec Thomas W, nous sommes en voiture, je le caresse, il dit que nous ferions mieux de nous arrêter. Sur une aire d’autoroute, je le suce et il me dit les plus jolis mots. Plus tard, nous sortons de la mairie, nous n’avons invité personne. Je suis nue sous ma robe blanche, je le lui dis.
Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi ce mec passe ses nuits dans ma tête ?
19H55
Mimi enceinte. Un secret pour l’instant, qu’elle a cru bon de partager avec Béa et moi.
Elle l’a fait seule, elle a 42 ans, elle ne voulait pas passer à côté de ça. C’est ce qu’elle a dit. Sourire. Félicitations, Mimi. Sourire. Bon, on va déjeuner ?
Devant le plateau n°4 de sushis, j’ai demandé à Béa ce que Mimi entendait par « je ne voulais pas passer à côté de ça ». Neuf mois de nausées, de fringues immondes, de courbatures suivis de quarante ans d’inquiétude et de remises en question, le tout en solitaire. Béa s’est contentée de secouer la tête. On se connaît bien, elle et moi.
Je pense : Il me semblait bien qu’elle avait grossi.
Je pense : J’avais pas rêvé, elle a une tête de cadavre.
Et : y’a des 44 au cul qui se perdent – un boulot pour Nico.
Plus tard, comme un fait exprès, Thomas W à la machine à café. En grande discussion avec un photographe, mais, comme d’hab, ne me quittait pas des yeux. Mes sens en alerte et les images de mon rêve qui défilent – le voile blanc s’envole, la douceur de ses mots, son corps contre le mien.
Je suis triste.

21H32
Il faut que je me reprenne. Aurélie devrait être là d’une minute à l’autre. Mon billet d’avion punaisé devant moi : ça va mieux.
Ces cons de Russes, totalement bourrés dans leur cour, braillant des chants qu’on ne peut pas imaginer intelligents ni rien – juste des braiments dont profite une quarantaine d’appartements (suis-je la seule que ça dérange ?).
08h55
Aurélie parlait toujours d’un bar : une sorte de code qui permet, au fil de la discussion, de ne pas avoir à préciser de la nature particulière de la soirée en question. Les festivités se déroulent en fait dans un appartement du côté de Pereire, au dernier étage d’un immeuble bourgeois. On s’y présente parrainé, on y est accueilli dans un vestibule à la lumière crue par une femme entre deux âges dépourvue de tout attrait dans sa jupe longue et son chemisier grisâtre (le méchant rat dans n’importe quel dessin animé). Tête basse, elle ne vous donne pas un regard, et vous grince de patienter.
C’est Queen Lol, elle-même, qui fait faire le tour du propriétaire : autour de la pièce principale, sorte de salon aux fauteuils de cuir, aux meubles de bois sombres et aux lourds rideaux, des pièces à thèmes, souvent sombres. La première dite « pièce pop » est une piste de danse où flirtent des couples enlacées sur lesquels pleuvent les carrés brillants d’une boule multifacette. Kitch. La seconde dont la porte est entrouverte, laisse échapper des soupirs et, en se penchant, on voit des corps mêlés sur les canapés. La troisième, Queen Lol propose que nous y revenions si nous le voulons. Elle prévient avec des airs mystérieux : c’est la pièce GB. Elle assure que nul n’est forcé à quoi que ce soit. Tout doit se dérouler dans la plus parfaite convivialité, « la seule règle ici ». Bien sûr, je brûle d’en savoir plus.
Queen Lol pose un becque sur les lèvres d’Aurélie avant de nous souhaiter « bien du plaisir ».
Dans le salon principal, devant un verre de Southern Comfort, je détaille Aurélie qui s’est fait harponner par un très bel homme d’une quarantaine d’année, costume de bonne coupe, Church impeccables. Elle porte une robe noire longue, une seule bretelle, les épaules nues, les cuisses découvertes par un drapé fendu. Chic, mais un peu pute. Pile ce qu’il faut pour l’endroit. Cette petite a du talent.
Je ne suis pas la seule à la regarder. Deux femmes la détaillent en chuchotant. Mon regard croise celui d’un homme, plus décontracté que le reste de l’assistance si j’en crois son air sarcastique. Le type aux Church remet la bretelle d’Aurélie d’un geste délicat. Je me demande ce que signifie GB. Je pense : Grande-Bretagne, tortures à l’anglaise, les Anglais à l’honneur, une pièce blindée d’Anglais, j’aime baiser en anglais. Hier c’était peut-être la pièce G remplie de Grecs. Queen Lol en Phileas Fogg du sexe.
Le trait que nous avons tapé avant de partir s’est essoufflé et je m’ennuie ferme. Cette impression qu’au fond, ces endroits sont tous les mêmes. Il faut y être drogué. Autrement vous finissez toujours par vous demander ce que vous foutez là. Vous vous mettez à penser à votre piaule, vos bouquins, le dernier Variety qui vous attend.
Ou : à la dernière fois qu’on vous a dit « je t’aime », en vous faisant l’amour.
OK, on arrête le massacre, direction les toilettes – et discret, pliz, Madame est farouchement antidrogue.

Quand je sors, l’homme décontracté est là qui me toise. Cyril. Enchantée, ce qui n’est pas exact, mais me permet de ne pas rester bêtement à regarder le manège tourner. Cyril est cinglant, un regard au vitriol. Lui aussi s’emmerde : « Je vous aurais bien invité à boire un verre ailleurs si des obligations ne me retenaient pas ici. » Moi pareil, fais-je tandis que nous dansons gentiment dans la pièce pop. Un jazz chanté sucré. Je suis à la limite de lui dire : Allons draguer ailleurs. Une fille sur un tabouret, les cuisses grandes ouvertes, se fait peloter par un type. Un sein sort de son décolleté pailleté, qu’elle pétrit d’une main. Le spectacle m’échauffe et la C joue son rôle d’amplificateur. Chaque fois que nos pas me ramènent face à eux, mon regard accroche celui de la fille, incisif comme si elle me défiait, mais aussi brûlant de plaisir. « C’est ma femme, explique Cyril, mon obligation de la soirée. » L’hôpital qui se fout de la charité. Je lui demande à quel jeu on joue, on n’est pas dans la cour de récré. Il bande contre ma hanche et rit : il a terriblement envie de me caresser.
Je suis chaude alors allons-y. Nous cherchons un coin pour faire connaissance quand la porte de la GB s’entrouvre. On n’y voit rien, mais on entend. Et on sent. Une lourde odeur de sexe, à vomir, un truc comme dans les pissotières d’avant (que je ne connais pas, bien sûr, mais dont Nico m’a beaucoup parlées). Cyril demande si je veux y aller. Je ne sais toujours pas de quoi il retourne, je dis oui. Un sourire glisse sur ses lèvres, salace.
La pièce est dans l’obscurité totale à part un monstrueux spot blanc planté sur une table de bois massif ni haute ni basse. Autour, des hommes, nus pour la plupart, se branlent. Un mouvement parmi eux et une fille uniquement vêtue de cuissardes, bien en chair, longs cheveux sombres et poitrine opulente, grimpe sur la table aidée par un homme. Aussitôt des mains se baladent sur son corps, des doigts se glissent dans ses orifices, elle est à quatre pattes, elle tortille de la croupe, juste à niveau. Un murmure d’approbation dans l’assemblée.
Mes yeux se sont fait à l’obscurité. Ici et là d’autres femmes se font prendre souvent par deux, trois hommes, pendant que d’autres regardent.
Tu n’es pas obligée de participer, dit Cyril en me caressant la nuque du bout des ongles.
Nous choisissons un coin pour nos sapes et comme je me déshabille nous sommes bientôt entourés de trois hommes dont je distingue le sexe bandé. Cyril me flatte la minette tout en me faisant les seins. Il souffle comme une bête, me demande si cela m’excite d’être regardée. Je dois en convenir. Bientôt des mains me caressent un peu partout, me palpent, une langue se mélange à la mienne, je jouis sous des doigts que je ne connais pas. Et quand je m’empale sur un sexe, je mets quelques instants avant de comprendre qu’il ne s’agit pas de celui de Cyril.
Plus tard, nous matons tous les deux depuis l’obscurité. La fille qui se fait enculer sur la table n’est autre qu’Aurélie. Elle retient difficilement ses cris, ses yeux se perdent dans la folie de son plaisir. Des types se branlent dans ses cheveux, son corps luit de sperme.
Las, Cyril et moi prenons un petit dej au Concorde Hotel avec vue sur l’aube rosée. Il part retrouver le lit conjugal en me lançant un innocent à bientôt.
25/01/2003 17H46
Thanks God, les jours rallongent et ma pharmacie déborde des meilleures pommades.

26/01/2003
Maman et Pierre à déjeuner. Maman est chiante comme une ado. Elle ne sait pas ce qu’elle veut. La retraite, mais c’est un peu admettre la vieillesse. Elle ne supporte plus ses collègues de la mairie, a l’impression de tourner en rond, les mêmes têtes, les salamalecs avec les élus, les notables du coin. So what ? Ce n’est pas ça son boulot ? Pierre est patient, une crème.
27/01/2003
Une vingtaine de roses à Queen Lol.
Quant à Aurélie, il vaut mieux l’avoir à poil sur la table du salon que comme collègue. Du haut de ses six mois de CDI (et de ses 22 ans), elle réclame une stagiaire (A : la DRH, copie à : Carole), prétendant que « si tout le monde faisait son boulot », elle n’aurait pas ce genre de demandes. Elle m’a raconté ça en sortant, avec des airs de boss, la fille qui en a vu d’autres et qui ne va pas s’arrêter sur si peu. A la vérité, par ce genre de manœuvre :
-
elle attire l’attention de la DRH et des postes à responsabilités sur elle ; elle est mignonne, aguicheuse ce qu’il faut, elle sème ses graines ;
-
elle réduit à peau de chagrin Victoria, sa peu probable rivale, entrée en même temps qu’elle au même poste de documentaliste, et qui n’a rien écrit d’autres qu’une centaine de signes sur un gloss ;
-
elle se positionne comme élément dangereux en passant directement par la case DRH et en court-circuitant Carole – qui aura certainement des comptes à rendre sur l’insubordination supposée de ses troupes.
Mauvaise, la gamine, et futée avec ça. A se demander comment elle serait si elle ne jouissait pas régulièrement par chacun des pores de sa peau.
(Une criminelle en puissance ?)
Rapide dîner avec Audrey, excellents sushis à Opéra. « It’s OK to eat fish ‘Cause they don’t have any feelings » (Kurt Cobain). Audrey toujours dans son histoire avec cet acteur solitaire qui lui préfère sa chienne épagneule et ses copains de billard. Affligeant. Potins de Libé sensiblement les mêmes que les nôtres. Cadre plus sympa, ceci dit.
28/01/2003
« Tenir l’âme en état de marche / Tenir le contingent à distance / Tenir l’âme au-dessus de la mêlée » JP Resnais
« It’s a motherfucker / Being here without you Thinking ’bout the good times / Thinking ’bout the bad / And I won’t ever be the same » Eels
« I try to laugh about it / Cover it all up with lies / I try to laugh about it / Hidding the tears in my eyes » Cure
Down, down, down
Mimi-ta-race, voilà ce que j’ai à te dire : on s’en cogne que tu vomisses tes tripes. T’es pas la première et les confidences de femme enceinte, je vais te dire un truc, ça sent le lait tourné et la merde de chiard. Déjà.
30/01/2003 19H56
Carole les yeux gonflés de larmes nocturnes, la bouche cinglante. Fumant plus que jamais.
Béa, lasse.
Aurélie d’une beauté exubérante (à croire que plus Carole se casse la gueule, plus elle embellit).
Philippe, le docu, aussi vivant que Balance et Siaga, les poissons rouges qui nous snobent depuis leur bocal verdâtre.
Et la demi-douzaine de rédactrices lançant des idées de sujet sans idée.
Comme je sors de là résolue à, un lexo et see you tomorrow, Thomas W est là, dans le hall, qui me fait signe. A ses côtés – j’en reste bouche bée – oui, je connais ce mec. Je reconnais son parfum, ses doigts quand on se sert la main : Cyril.
Je pense : il m’a suivie.
Je pense : il y a une erreur de casting.
Et : je me suis gourée quelque part.
Un détail qui m’avait échappé : Cyril M. est consultant en voitures de luxe et travaille régulièrement pour AbMen et Multisports dont Thomas W. est le DA.
Je pense : réagis, dis quelque chose.
Je pense : plus conne que toi, y a pas.
Et : une boîte de lexo et à jamais.
Thomas remarque que je suis pâle : si je n’ai pas déjeuné, je peux peut-être les accompagner. Et là, pauvre baudruche, je me dégonfle. Il y a des fois, je me hais tellement, je voudrais tuer père et mère pour m’avoir imposé ça.
Pauvre fille. Rentre chez toi manger des nouilles.
Retrouvez le journal de Louna toutes les semaines
« Louna : sexe, vices et versa » est un texte de l’écrivaine et journaliste Agnès Peureu écrit en 2005.
Tous droits réservés