[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]ean-Louis Lefebvre aborde la musique progressivement. Au lycée, il est guitariste de son premier groupe de rock, Ultrasons, puis il commence à faire les chœurs et a pris goût au chant.
En 1971, alors qu’il est étudiant en anglais et surveillant dans un lycée, il enregistre son premier album avec son groupe Maajun: Vivre la mort du Vieux Monde où il est bassiste et chanteur.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]’année suivante, Maajun se sépare et donne naissance à un nouveau groupe, Mahjun. S’en suivent deux albums chez Saravah, sans titre particulier que l’on distinguera par le premier morceau de la face A: Le Jus de la figue (1973) et Fils à Colin Maillard (1974). Crédité aux violons, à la flûte, aux guitares et au chant, Jean-Louis Lefebvre y est accompagné par Jean-Pierre Arnoux et Daniel Happel qui le suivront durant de longues années.
Seul groupe chez Saravah, Mahjun accompagnera des artistes maison comme David Mc Neil, Areski / Fontaine, Jacques Higelin, Jack Treese. Dans les années 75/76 , après 14 concerts en Angleterre et grâce à leur saxophoniste américain Jim Cuomo, qui prétendait qu’ils étaient « famous en France« , ils sont surnommés « happy French band » par la presse britannique, titre qu’ils conserveront pour le quatrième album paru sur un petit label.
Toujours à la recherche de curiosités, parfois essentielles, parfois plus légères mais non sans intérêt, le label Souffle Continu Records réédite en ce mois d’octobre les deux albums sortis chez Saravah. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en matière hétéroclite, il paraît difficile d’être plus exhaustif. En effet, les deux albums évoqués ici touchent littéralement à tout, ce au sein du même disque, et parfois, au sein même d’un seul morceau.
Les références se bousculent, se tapent sur l’épaule, se disputent la vedette, se melting entre potes, le tout avec une cohésion fascinante. Que dire? Qui citer ? La folie de Fontaine, le prog de Gong, l’incontrôlable diversité de Zappa ? Les textes sont tout bonnement hallucinants, parfois drôles et enfantins, parfois revendicatifs tels des slogans scandés derrière les barrières. Et les barrières, ici, elles ont sauté. Le free-jazz s’invite doucement et par moments seulement – on est ici dans une musique qui ne se veut jamais agressive ou élitiste. Ces deux disques sont les témoins supplémentaires d’une époque où, si tout n’allait pas bien, tout n’allait pas si mal…
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e jus de la figue, Les Enfants sauvages, Family Valse, La Guitare à Rigaud: voici le genre de titres que l’on croise sur ces albums aussi pointus que festifs.
Les deux compères du label Souffle Continu semblent vouloir délivrer un message essentiel : écouter de la musique, c’est aussi s’adonner au plaisir, ici accordé au pluriel. Car oui, aujourd’hui, la musique paraît manquer cruellement de second degré et celle de Mahjun n’en manque pas. Mais voilà, il serait aisé de parler de ces disques enregistrés par dessus la jambe pour rigoler entre amis, qui privilégient la forme au fond. Ici, on s’amuse sérieusement, car ça joue et ça joue extrêmement bien.
Il paraît évident qu’un épais nuage de substances illicites flotte au-dessus de l’album de souvenirs qui dépeint ces deux disques. Le saxophone sonne pourtant plus Coltrane que Big Bazar, et les guitares fuzzent à foison plus qu’elles ne chaloupent pour emballer dans les campings. Le plus surprenant, pour ne pas dire impressionnant, est la diversité des styles et des thèmes abordés dans ces deux disques, sans que jamais rien ne jure. Tout coule de source avec béatitude et surprise et l’on se surprend à se laisser embarquer dans un voyage étourdissant de saveurs psychédéliques, de fêtes foraines, de musiques savantes et de plaisirs coupables.
Sans nommer personne, ce disque recentre tout un pan du rock français dit « alternatif ». La Déniche fait la nique à la Boucherie, plus de vingt ans avant son apparition, et se permet le luxe infini d’enchaîner sur un morceau d’une tension phénoménale aux accents acides, qui s’enroule autour de vous, vous laissant ainsi hypnotisé.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our peu que l’on se prenne au jeu, il est possible d’être littéralement bouleversé par Fils à Colin Maillard qui débute sur des arpèges d’une tristesse douce-amère, avant que le morceau tourneboule, s’engouffre dans une porte progressive, où la guitare d’Hendrix viendrait semer la zizanie. Les arrangements tonitruants sur Denise mettent en exergue des violons électriques qui jamais ne noient les mélodies accrocheuses.
On peut rester coi à l’écoute des paroles mélangeant clairement l’onirisme et la poésie d’un flower power sceptique, mais là encore, la teneur des textes apporte une fraîcheur évidente à un underground proprement ignoré à l’époque. Bourrée au passage, parle notamment de pouvoir d’achat avec une nonchalance hilarante, et pourtant, si l’on place ce morceau au milieu d’une conversation actuelle, son sujet est d’une actualité brûlante.
Le label Souffle Continu, qui prend toujours le temps de regarder en arrière, s’offre donc le luxe de rééditer deux albums d’un groupe qui allait de l’avant, déployant une musique plaisir, faite avec sérieux, sans se poser des questions à rallonge sur les styles ou les impacts économiques. Avouez que ça manque parfois, de nos jours.