[dropcap]I[/dropcap]l est temps de déclarer l’amour que je porte à la merveilleuse comédienne Kate Winslet, dont l’ahurissante capacité de composition est ici encore une fois prouvée.
Un titre au seul nom de son personnage principal : qui est Mare d’Easttown ?
Femme désillusionnée, dépressive, dans sa tardive quarantaine, Mare Sheehan (Kate Winslet) s’ennuie dans sa ville, sa vie, ne prenant plus soin d’elle et tentant de trouver de l’intérêt dans son travail d’inspectrice, si banal et évident. Pas facile de garder le cap quand sa propre vie ne semble plus avoir le moindre sens.
Mare est rongée par la perte de son fils, hantée par l’échec d’une enquête autour de la disparition de la fille d’une de ses amies, minée par la présence d’un ex-mari réussissant à refaire sa vie dans la maison de l’autre côté du jardin, souvent critiquée par sa mère vivant sous son toit et en conflit ouvert avec sa fille, toutes deux l’aidant à élever son petit fils quasi orphelin. Mare se sent coupable, inutile et rejetée.
D’autant qu’elle a été longtemps considérée comme incontournable, héroïne sportive de l’équipe de basket-ball de la ville, surnommée Lady Hawk comme une marque à vie d’un moment de félicité partagée. Preuve qu’elle déteste et qui l’a tant obligée à renvoyer l’image de celle qui assure, qui sauve tout le monde, Mare la battante. Autant de pression infligée, accumulée, jusqu’à la perte de contrôle et l’implosion.
Connaître et reconnaître
Dans une ville de cette importance, les cercles d’amis se forment, durent et perdurent dans une évidence confortable que personne ne cherche à remettre en cause. Rassurants liens au silence plus simple que l’honnêteté, ils fabriquent une sensation d’assise solide dont la facilité permet de ne plus avoir à expliquer grand chose, quitte à privilégier de plus avantageux non-dits voire de lourds secrets.
Voilà le deuxième personnage principal, invisible et pourtant écrasant : le secret. Agent de pourrissement de relations, familiales, amicales et professionnelles, le secret fait taire, mentir, cacher, déformer, et grandit inexorablement, pour toucher même ceux qui ne sont pas concernés au premier chef.
L’écriture de Mare of Easttown est d’une qualité bluffante. Le background du personnage principal se révèle doucement, déployant d’une situation à une autre l’étendue du champ d’action de Mare, de celui de son entourage, jusqu’à devenir aussi important que l’action en elle-même.
Essentiel à la compréhension de ce qui se développe sous nos yeux, le passé de Mare, celui de sa famille, de ses amis, immuablement lié à celui de la victime.
Car Mare est inspectrice et un crime se joue à nouveau dans son paysage fait d’évidences. L’intrigue est tant imbriquée dans autre chose que la seule solution du « qui a tué et pourquoi » qu’elle reste à une sorte de seuil de passage en revue de tous ces destins qui n’en sont pas, de détissage de pelote emberlificotée dans les a priori et les mensonges.
La tragédie en cache une autre, toujours, du début à la fin. Quoiqu’il arrive, personne ne réussit à rester du bon côté de la lorgnette, bien obligé de faire face, d’abattre les masques. Ici, Mare connaît les familles, sait leurs faiblesses pour les côtoyer depuis l’enfance, et va devoir revenir sur tout ce qu’elle pensait acquis.
Le meurtre de cette très jeune fille force Mare à s’engager sur une voie qu’elle sait d’avance terrible sans se douter devoir pousser encore et encore plus loin, remuer les histoires qui macèrent depuis toujours et réussir à supporter découverte sur découverte et perte sur perte. Car l’enquête la plus difficile est celle qui l’entraîne sur le chemin de sa propre famille.
Le ton très réaliste de la série nous fait entrer profondément dans une communauté qui sait cacher sa violence et parfaire son reflet sans grande éducation et sans véritable perspective. Mais également la puissance que l’on peut décider d’attribuer à un lien d’amitié qui, même destructible et imparfait, reste celui de la survie. Ou de la torture.
Des rôles féminins d’exception
Alors oui, Kate Winslet y est impressionnante, brusque, brutale même, presque jamais souriante, râleuse et tendue en tirant rageusement sur sa vapoteuse. Sa transcription parfaite se fait dans les alentours de la grande Jean Smart, comédienne également à contre-emploi dans le rôle d’une mère peu encourageante, soutien indéfectible mais capable de peu d’affection.
La plus profonde blessure de Mare est personnifiée par sa fille Siobhan (Angourie Rice), marquée par la perte de son frère sans savoir comment exprimer son manque et la rancœur qu’elle porte à sa mère. Cette jeune comédienne impose tranquillement son personnage paradoxal, jeune fille irrésolue et forte, cherchant l’appréciation tout en la rejetant solidement.
La plus touchante d’entre toutes est Lori Ross, meilleure amie de Mare, interprétée par la douce Julianne Nicholson. Elle délivre une performance toute en sensibilité, figure évidente et incontournable qui impose son statut de pilier de référence dans la vie de Mare.
Les femmes ne sont donc jamais seulement d’un tenant, jamais uniquement maman, jamais seulement rancunières ou jalouses, toujours blessées mais affrontant tout, se relevant immanquablement, même en pleine défaillance.
La parentalité est une des thématiques forte de Mare of Easttown. Comment se juger en matière de maternité ? Être mère et soutien sans réussir le moindre geste de réconfort ? Se tenir loin de son enfant pour le préserver de sa propre toxicité ou imposer son statut de mère et prouver sa valeur ? Laisser le déni prendre le dessus et faire déborder la colère comme la violence ? Qui sont ces mères parfaites qui absorbent le bon comme le mauvais ? Et qu’est-on prêt à accepter au nom de sa famille ?
Quant aux hommes, les tentations de jugement hâtif sont nombreuses et perforent l’avancée du récit en de véritables axes de l’enquête. Mais, encore une fois, les situations ne sont pas simples : le manque de confiance du supérieur de Mare le pousse à lui imposer un jeune agent peu assuré mais qui permet de révéler des capacités de Mare dont elle n’a même pas conscience.
L’entrée délicate de l’amant (représenté par Guy Pearce) dans son univers vaut le détour ! Mare s’autorise un assaut étourdissant qu’elle ne va pas du tout assumer, repoussant jusqu’au bout ce changement dans une vie, bien sûr, trop compliquée.
Et dédiée à reconstruire l’édifice de sa famille, au plus large de tous les sens du terme.
Mare of Easttown est d’ores et déjà une des meilleures séries de 2021, ne la ratez pas. Sur OCS.
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