[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]e ne sais pas si vous êtes fans de comics mais si je dois faire un parallèle avec le groupe hybride dont je vais vous parler, c’est du côté des super héros que la comparaison m’a semblée la plus pertinente. Prenez Super Machin, il a son propre univers avec ses propres pouvoirs et toujours un talon d’Achille qui le rend plus attachant (et vulnérable). Pour Captain Bidule, c’est le même topo avec des spécificités bien distinctes. Chaque personnage évolue distinctement au fil des bulles et forge une identité propre même si elle est bien souvent faite de dualités quasi schizophréniques. A un moment donné, les scénaristes ayant fait le tour de leurs aventures respectives, c’est tout naturellement et de façon mercantile que Super Machin viendra se mesurer à Captain Bidule et toute la litanie des confrères fictifs. Les scénarios se gargarisent alors dans la fusion des idées, la profusion des possibilités à l’infini. Si le résultat n’est pas toujours des plus heureux chez ces descendants des dieux de l’Olympe, il reste néanmoins quelques bonnes combinaisons à dénicher pour le lecteur.
Pour la musique, le schéma est sensiblement le même. Piochons au hasard Slowdive, groupe de shoegaze ambiant dont les premières mélancolies sonores crépitèrent en cœur des années 90. Leur nom fut emprunté au titre punk et sombre de Siouxsie & The Banshees pour un mélange diffus où les pédales meurtrières venaient élever un chant baigné dans l’éther. Chez ces anglais, les influences combinées résonneront jusqu’à un split finalement éphémère car ravivé il y a deux ans à la grande surprise et joie de votre serviteur. Au sein de cet effectif, il faudra s’attarder sur le cas de Rachel Goswell : guitariste et chanteuse érotogène, attirée par d’autres histoires que celles qui lui auront donné ses titres de noblesse au royaume du rock indépendant. Car si l’avenir réside en pointillé dans les diffusions du side-project Mojave 3, outre les fantasmes d’une reformation pérenne du mythe Slowdive, un plan B est venu germer au contact d’autres régiments.
Le plan en question s’est échafaudé notamment avec le concours de Stuart Braithwaite, artificier bruitiste officiant chez Mogwai, lui aussi poussé par une envie subite de changer d’air sans pour autant renier son groupe d’attachement principal (preuve flagrante d’ailleurs avec la très belle sortie cette année du projet ATOMIC dont je vous avais amplement parlé ICI il y a quelques mois). Avec ses effets massifs sur les pédales, c’est une hyperbole post rock qui vient se greffer aux lignes composites de notre super-groupe.
Pour compléter le casting deluxe, ajoutons Justin Lockey guitariste depuis 2012 au sein d’Editors, digne héritier d’une pop teintée de rock grisâtre à défaut d’être totalement obscure. Une fois encore j’ouvre une parenthèse avec l’article que j’avais consacré à In Dream, leur dernier recueil en date (à lire ou relire ICI)… L’évocation de ce dernier opus n’est pas fortuite. Souvenez-vous du titre que je considérais comme le point culminant de ce retour en grâce. Le fantastique The Law est encore gravé dans les mémoires. Morceau magnifié par la collaboration inspirante d’une certaine Rachel Goswell. De ce featuring ô combien réussi se tramait la genèse transversale de mon propos. Avec une explication entre les lignes, j’apprenais le rapprochement préalable de Justin avec la chanteuse. Les premières démos concoctées par le duo pour un projet initialement minimaliste allaient assez vite prendre de l’ampleur.
Il me reste à vous présenter le frère du moussaillon précité. James Lockey habituellement derrière la caméra pour les besoins de Hand Held Cine Club et qui pour la bonne cause viendra ici s’attacher au jeu de basse. Je profite de cette présentation préliminaire pour attirer votre attention sur un point crucial, à savoir le gros plus visuel attaché au nouveau combo et qui réside dans la touche artistique inspirée de la fratrie Lockey.
Ainsi donc s’aligne devant nous Minor Victories, affublé de ses quatre fantastiques. Reste à savoir ce que leur premier long format nous réserve. L’affiche est alléchante et la dream team mettra rapidement les convives en bouche le 25 Juin 2015 avec un teaser aussi énigmatique que suscitant l’envie de creuser au-delà de la simple curiosité de principe. L’art de se faire désirer dans une vision en noir et blanc de l’alléchante sortie qui se prépare.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n matière de création musicale, l’arithmétique n’a pas sa place. A la somme des talents combinés, nulle certitude quant à une addition de fait. Au contraire, nous connaissons un paquet d’alliances qui n’auront eu pour résultante que la soustraction des effets escomptés. Avec Minor Victories ce n’est point le cas. Si les plus cartésiens me diront que 1+1+1+1= 4, j’ai envie de leur répondre que pour le cas d’espèce la propension à décupler les chiffres est un constat foudroyant.
Alors certes, Give Up The Ghost qui ouvre le bal pourrait bien laisser au fond du palais une certaine note d’amertume avec son entrée en matière légèrement prétentieuse où chacun y va de son répertoire afin de gonfler outre mesure l’espace sonore. Tel un millefeuille qui dévoile ses couches successives, le titre s’écoute comme une ouverture rythmée destinée à mettre en appétit sans que l’enthousiasme ne soit non plus des plus débordants. Pour rester dans la métaphore culinaire, c’est comme cette salade de bienvenue que l’on vous offre dans une célèbre chaîne de restaurant: c’est loin d’être la mise en bouche suprême mais le client ne crache jamais dessus. Mieux encore, sans cette petite marque d’attention sympathique, il se sentirait floué.
A Hundred Ropes déboule alors pour élaguer les doutes initiaux. Sur la deuxième piste de l’album sans matricule, les expériences de chacun se confondent avec un évident brio. Minor Victories s’approprie une absorption bien spécifique qui fait glisser leur power rock bipolaire dans un enchevêtrement architectural soigné, puissant, libre et assumé. La mayonnaise agrémentée d’une pincée électronique fait des merveilles, la synergie peut alors s’installer et prendre ses aises pour le plus grand plaisir de nos oreilles.
Dans une interview accordée au webzine POPnews, Justin Lockey revient sur cette alchimie qui transpire des dix titres qui composent l’album (la lecture intégrale de l’entrevue brillamment menée par mon homologue et ami David Jégou est à lire ICI)
Effectivement, il paraît difficile de parler d’influences pour ce disque qui semble plutôt être le reflet des personnalités et des goûts de chacun.
J.L. : J’avais tout de même une crainte au départ que rien ne fonctionne. Stuart a un style très marqué. Personne ne joue comme lui. Idem pour Rachel et sa façon de chanter. Mélanger ces identités très fortes pouvait représenter un risque. Chacun est sorti de sa zone de confort et la balance a penché en notre faveur. Aucun titre ne se ressemble vraiment sur l’album, mais ils ont tous un thème commun.
Comme si l’apport mutuel ainsi définit ne suffisait pas, le groupe invite à ses côtés deux chanteurs de renom.
Le premier est un compatriote de Stuart Braithwaite : James Grahan et son accent qui sent bon le malt « barytonne » en tant que leader charismatique de The Twilight Sad. Pour l’anecdote, le groupe au rock obsédant a été repéré par le père spirituel de toute cette bande, Robert Smith des inusables inspirateurs The Cure. J’ai envie de vous dire que partant de ce postulat, la boucle est bouclée, l’orgie est à son comble, tout le beau monde est de la fiesta pour un condensé explosif intitulé Scattered Ashes (Song for Richard). James Grahan et Rachel Goswell s’unissent vocalement afin de se faufiler au travers d’une exécution musclée par les autres protagonistes. Il y a une émulation indéniable qui se fricote derrière ce duo et la sensation inexplicable d’assister au début d’un chapitre collaboratif laissant les fantasmes les plus fous prospérer dans un coin de notre cerveau.
A ce titre, le second artiste convié au banquet n’est autre que Mark Kozelek plus connu sous l’emblème de Sun Kil Moon. Le californien adepte de l’indie folk y déverse son phrasé grave et atypique sur les bases épurées de For You Always. Les percussions binaires permettent alors une mise en relief du Ping Pong qui s’opère entre ce lascar et sa partenaire de jeu. Preuve que Minor Victories non seulement excelle dans le fait d’accaparer les acquis que ses membres portent intrinsèquement mais que, de plus, le jeu collectif leur permet d’oser les expérimentations se nourrissant du voisinage laissant alors l’impression d’une profonde richesse d’humeurs, entre le flegme racé des uns et la jovialité antinomiquement tendue des autres.
J’aurais limite la tentation d’achever ici mes observations en vous annonçant que « puisque la messe est dite, achetez le disque et laissez-vous embarquer » mais à leur image je vais rajouter quelques strates dans l’optique d’emballer ce cadeau car le point culminant du recueil mérite toute notre attention.
Lorsque j’ai appréhendé Folk Arp à la première écoute, j’y ai vu en surface un caractère progressif forcément attractif. Rien de totalement transcendantal vous allez me dire sauf qu’à la seconde écoute j’ai littéralement fait péter les watts dans la voiture au risque pervers de pousser les autres véhicules dans la douve. De la berceuse fragile, l’amalgame s’étoffe et après un break attentif, la quatrième minute qui s’écoule redonne une amplitude saturée exquise à l’espace qui nous entoure. Là aussi vous allez me dire que j’en rajoute des tonnes mais pas du tout ! Ce titre est tout bonnement la plus grosse claque entendue depuis des lustres car il ose l’escalade d’un pic vertigineux sans zapper la mise en abîme des déflagrations sensuelles sur lesquelles nous avons encore le souvenir ému. C’est tout simplement éblouissant, intense, puissant comme le sang qui coule dans nos veines. Lorsque les guitaristes en exercice passent la 6ème vitesse, le vacarme mélodique se fait larmoyant. Le titre s’échappe et irradie la sphère émotionnelle. Le désir est alors de rembobiner la piste et de revivre en boucle l’instant précieux. Bref, je ne vais pas vous en faire un péplum mais ce titre est un repère qui mérite à lui seul l’acquisition de la galette.
Dans une moindre mesure, Out To Sea se détache également de manière remarquable avec, au cœur de cette première expérience de haut calibre, un élan atmosphérique aussi féérique qu’érectile. Y viennent s’y nicher comme sur un bon nombre des éléments de l’opus des cordes aux aspirations emphatiques. En clin d’œil allégorique, je vous laisse imaginer Poséidon armé de son trident venant ébranler le sol d’un mouvement de furie. Les plus pointilleux d’entre vous auront constaté ma propension à mélanger les héros et les dieux.
L’attente est, vous l’aurez bien compris, récompensée d’une œuvre vibrante et forte. La construction ad hoc ne pourra être sujette à la perplexité qui pouvait ressortir d’un programme bâtard. C’est donc avec une nouvelle impatience que ceux qui sauront apprécier comme moi l’album auront noté sur leur calepin leur venue le 12 Aout 2016 au Fort Saint Père dans le cadre de la prochaine édition estivale de La Route du Rock. Le groupe sera présent également à Paris le 27 Octobre 2016 pour le Pitchfork Music Festival.
L’album sorti chez PIAS est disponible chez votre meilleur dealer depuis le 3 Juin.
Site Officiel – Facebook – PIAS
Bien bel article… J’aime bien également cette idée de transversalité, ce lien d’un webzine à un autre …
Merci Greg et pour avoir lu ta propre approche je me dis que la synergie c’est souvent productif !