Avant toute chose, un coup d’œil rapide à Wikipédia nous indique que le mennonitisme est un mouvement religieux né au XVIe siècle aux Pays Bas. D’inspiration protestante, les mennonites vivent en communautés éparpillées à travers le monde et prêchent, entre autres, le pacifisme et la non-résistance (refus d’utiliser la force contre tout être humain, par amour du prochain).
Miriam Toews, dont Ce Qu’elles Disent est le troisième roman à paraître en France, est née dans une de ces communautés, au Canada et parvient de ce fait à donner à son récit un supplément de force et d’âme qui l’élève bien au-delà du simple fait divers.
Colonie mennonite de Manitoba, Bolivie, 2009. Alors que les hommes sont partis à la ville, huit femmes – grands mères, mères et jeunes filles – tiennent une réunion secrète dans un grenier à foin. Depuis quatre ans, nombre d’entre elles sont retrouvées, à l’aube, inconscientes, rouées de coups et violées. Pour ces chrétiens baptistes qui vivent coupés du monde, c’est le diable qui est à l’œuvre. Mais les femmes, elles, le savent : elles sont victimes de la folie des hommes. Elles ont quarante huit heures pour reprendre leur destin en main. (Quatrième de couverture).
Ce texte magnifique, sans doute un des plus forts de cette rentrée littéraire à venir, nous fait pénétrer dans la colonie de Molotschna, un univers dirigé par les hommes, où les femmes doivent être soumises et obéissantes. Ce sont ces mêmes hommes qui lisent et interprètent la Bible pour leurs femmes analphabètes.
Mais, après s’être résignées à leur sort pendant des générations, les femmes de Molotschna vont tenter de prendre en main leur destin et de faire face aux abominations dont elles (et parfois leurs enfants) sont victimes de la part des hommes de la colonie (pères ou frères y compris). Trois options sont retenues, parmi lesquelles ces huit femmes devront faire un choix avant le retour des hommes partis à la ville faire libérer les violeurs emprisonnés.
Ne rien faire.
Rester et se battre.
Partir.
Au fil des échanges, souvent vifs, un consensus se dessinera peu à peu. Elles n’ont rien connu d’autre que la communauté, ne savent rien du monde extérieur, n’ont jamais appris à lire et ont conscience à chaque instant de ces faiblesses mais leur volonté est inébranlable et elles mettront tout en œuvre pour parvenir à leurs fins.
Texte à la fois hors du temps et profondément ancré dans notre époque, Ce Qu’elles Disent résonne bruyamment avec la triste actualité de notre monde. Après le mouvement #metoo ou, plus récemment encore, les lois contre l’avortement votées en Alabama, Georgie ou Ohio, ce roman saisissant décrit une communauté au sein de laquelle les hommes ont érigé leurs lois et se sont donné une liberté totale, sous le couvert hypocrite et fallacieux de la religion dont, ne l’oublions pas, ils interprètent eux-mêmes les textes. Ils imposent aux femmes un code vestimentaire strict afin qu’elles n’éveillent pas de tentations au sein de la colonie, mais c’est finalement pour mieux libérer leurs instincts de prédateurs la nuit et violer leurs victimes après les avoir endormies à l’aide d’une vaporisation de belladone, n’ayant pas le moindre scrupule à s’en prendre à une enfant de trois ans (âge de la plus jeune des victimes).
À l’heure où les voix des femmes s’élèvent avec plus de force dans le monde, il faut lire Ce Qu’elles Disent et retrouver le sens de la révolte qui souffle sur ces pages. On sera touché par le portrait que fait Toews de femmes démunies qui unissent leur colère et la nourrissent de leurs réflexions pour, à leur façon, révolutionner le monde sclérosé qui constitue leur univers. Ici, point de salut sans solidarité, c’est le collectif qui donne la force à chacune de chercher son émancipation.
Évidemment transposable en tous lieux et en tous temps, Ce Qu’elles Disent de Miriam Toews est à lire et à faire lire, un texte à partager, à la lecture duquel on ressort à la fois plus conscients de notre humanité et plus effrayés de ce dont certains d’entre hommes sont capables. On y lira aussi une charge contre la religion et ceux qui s’octroient le privilège d’interpréter les textes sacrés, l’effroyable hypocrisie des gardiens du temple …