[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]oilà un livre dont la lecture une fois achevée continuera à vous hanter, longtemps vous vous souviendrez de l’amour fou entre ces deux hommes Rasmus et Benjamin. Ce pavé, ce roman fleuve, on se le prend en pleine figure, c’est triste, c’est dur, âpre, cru parfois mais l’émotion est palpable entre les lignes, l’écriture de Jonas Gardell ne nous épargne pas, un style écrit avec les tripes, un uppercut à chaque page, jamais vous ne lirez la douleur avec autant de poésie et de profondeur que dans ce roman.
Le livre peut être vu comme une forme de témoignage de la part de l’auteur qui dépeint la communauté homosexuelle en Suède dans les années 1980 mais les situations que vivent les personnages sont souvent tellement réalistes que l’on peine à croire qu’elles sortent de l’imagination de l’auteur. Dès les premières pages vous êtes avertis, ce livre ne vous laissera pas indemne. Le jeune garçon malade est alité, mourant, le corps décharné, une larme coule le long de sa joue, une infirmière veut l’essuyer, mais la supérieure l’exhorte à enfiler des gants avant d’accomplir ce geste de réconfort et de compassion. Cette scène offre au livre son titre, le ton est donné.
Le roman est construit en trois parties : l’amour, la maladie et la mort. Au début nous allons suivre Rasmus et Benjamin au moment de leur adolescence.
Pour le premier, la vie est simple, il est le fils unique d’une famille qui aime ce garçon par-dessus tout, le surprotégeant parfois, mais on va vite constater qu’il est aussi le souffre-douleur de son école, il se fait tabasser par ses camarades qui le trouvent différent. Le jeune garçon sent cette différence mais s’il veut l’assumer il va lui falloir partir du cocon familial et son village conservateur, s’enfuir vers la grande ville à Stockholm pour y suivre ses études et trouver les lieux où le soir les hommes se retrouvent dans la clandestinité.
Pour le second, cette différence il l’ignore encore, il est issu d’une famille nombreuse ultra-catholique, avec ses parents ils font du porte à porte en tant que témoin de Jéhovah pour prêcher la bonne parole, souvent ils essuient des insultes ou de l’indifférence, mais un jour un homme lui dévoile de manière inattendue l’orientation sexuelle de Benjamin qui sommeille en lui. De prime abord tout semblait opposer nos deux hommes et le destin va se charger du reste.
Le livre fait l’aller retour entre l’intrigue des personnages et la reconstitution de tout une époque, celle de la communauté homosexuelle qui se bat pour faire reconnaitre ses droits, une époque où l’on pouvait aller en prison pour ces orientations sexuelles, une lutte assombrie par la pandémie du SIDA qui touche de plein fouet cette communauté. Dans la seconde partie nos deux hommes vont finir par se rencontrer et s’aimer, entourés d’une belle galerie de personnages attachants, Paul, Reine, Lars-Ake, Bengt, Seppo, donnant des passages émouvants parfois drôles qui permettent d’alléger le propos souvent noir et mortifère au fil des pages. On va assister à le lente perte de ce groupe, il s’étiole, perd très vite des unités car l’espérance de vie d’un malade atteint du Sida ne dépasse pas deux ans, il n’y a pas encore de trithérapie et quand un protocole est mis en place au début des années 1990, il ne convient pas à tout le monde, il y a des effets secondaires non négligeables, des douleurs dans le corps et dans les esprits, les corps qui s’amaigrissent, on assiste impuissant à cette hécatombe révoltante, certains succombent après une longue attente douloureuse et seuls, abandonnés par les proches et la famille.
Dans la troisième partie, l’intrigue se resserre sur nos deux protagonistes. Malheureusement l’un deux va tomber malade et commence alors une course contre la montre contre la mort, espérer un sursis le plus long possible grâce au soutien de l’autre compagnon, essayer de soulager la souffrance.
Jonas Gardell signe ici un grand roman de littérature, son style est percutant, touchant, somptueux et salutaire. Il faut lire ce livre comme un pamphlet pour la lutte contre les discriminations, un appel à la tolérance. Ce livre est beau car il délivre une magnifique histoire d’amour entre deux hommes mais confère à l’universel. Énorme succès en Suède, en France il est comme passé inaperçu, peu de critiques et d’articles dans la presse, boudé par les prix littéraires prestigieux d’automne, et pour tant quel livre ! C’est le moment de rattraper cette injustice !
N’essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell édition Gaïa, septembre 2016, traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach
Il y a recrudescence de chroniques sur ce livre ces temps-ci… s’il était lauréat du prix Prix Libr’à Nous 2017, ça ne m’étonnerait pas… tant que j’y suis : Gilles Marchand en francophones, Valerio Varesi en polars et Ken Liu en littérature de l’Imaginaire. Hâte de voir demain si mes paris sont bons !
Bonsoir merci pour votre commentaire. Joli pronostic ! J’abonde dans votre sens en ce qui concerne le roman de Gilles Marchand qui est un gros coup de cœur, un auteur attachant et sympathique, j’ai beaucoup aimé aussi Valerio Varesi. Et oui, à demain pour voir si tout se vérifie !