[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]n ce milieu d’année 2016, s’il y a un disque qui semble faire polémique, c’est bien le dernier Nick Cave. Entre les adorateurs passionnés et les haineux revenus de tout, difficile de se frayer un chemin. Nick Cave passionne autant qu’il agace depuis près de vingt ans et cette situation semble s’accroître un peu plus à chaque disque. Il faut dire que depuis The Boatman’s Call sa discographie a connu de grosses faiblesses. Mais avant d’aller plus avant sur Skeleton Tree, tentons de rester objectif.
Certes, le nouvel album de Nick Cave ne semble rien apporter de nouveau à son univers, et ne révolutionne en rien la musique moderne. Mais alors, pourquoi ne pas poser le problème à l’envers ? De quand date le dernier album marquant de Bob Dylan ? De quand date le dernier album révolutionnaire de Tom Waits ? Vous voyez où je veux en venir ? C’est bien joli de réclamer l’excellence à chaque sillon, mais encore faudrait-il que l’on puisse citer un artiste à la carrière variée, riche d’évolutions permanentes et sans faux pas et puis surtout qui s’étale sur trente ou quarante ans. A ma connaissance, personne n’est irréprochable. Et personne n’est parvenu à rester génial et innovant aussi longtemps.
Alors quid de ce nouveau disque ? Splendide ? Anecdotique ? Et bien, peut-être bien entre les deux. On le sait, Nick cave a vécu un drame personnel dont personne ne saurait se relever. Ce disque semble servir d’exutoire. Musicalement, il n’est pas sans rappeler la sobriété de And No More Shall We Part, mais avec des compositions nettement plus réussies. Le bouleversant côtoie aisément l’anecdotique.
Il y a bien longtemps déjà que Nick Cave a abandonné la tension nerveuse, les guitares acérées, le rock’n’roll pour la sobriété et la voluptueuse majesté. Sur cet album, le recueillement semble prendre le pas sur le reste, et ce n’est pas anodin. On pourrait d’ailleurs lui reprocher, ou le reprocher à ses adorateurs sans bornes. En effet, il paraît évident que chacun garde en tête la perte de son enfant comme point de départ d’un disque thérapeutique, pour ce qui sera un chemin de croix jusqu’à la fin de sa vie. Certes, ce disque est le livre noir d’une perte infinie, la trace indélébile d’un drame humain sans commune mesure et certains y trouvent là les excuses aux défauts que les autres relèvent. L’espace que donne Nick Cave à sa musique est relativement inédit. Les arrangements sont épurés et lourds à la fois, à l’image de l’introductif Jesus Alone qui sonne comme un drone au ressac inquiétant. Warren Ellis est aux arrangements et à la direction et son travail collaboratif sur les différentes B.O. s’en ressent. La musique se prend à rêver en images pellicules sur fond de plaine perdue. Les instruments se raréfient, la batterie s’invite à pas feutrés, les guitares ont disparu presque intégralement et surnagent le piano et les claviers rachitiques. Les cordes pleuvent en rideaux en permanence formant un disque étonnamment cohérent. On peut reprocher à Nick Cave des mélodies parfois un peu poussives comme sur le laborieux I Need You, mais les textes sont, la plupart du temps, déclamés plus que chantés, donnant ainsi une impression de prière ou de poésie clairement dédiée à son fils.
Pourtant, chaque note est à sa place, bonne ou mauvaise. Nick Cave aurait pu sombrer dans le pathos, mais il n’en est rien. Certes, Skeleton Tree n’est clairement pas un disque pour faire la fête. Mais soyons réalistes, Nick Cave n’a jamais donné dans la joie et la bonne humeur, alors lui reprocher aujourd’hui de produire un disque aussi noir que la période qu’il peut vivre, c’est un procès d’intention que je ne peux, personnellement, lui faire. Qu’on le veuille ou non, il a fait là un disque sobre et digne, sans excès, qui ne laissera certes pas une trace indéfectible dans sa discographie, mais qui reste néanmoins un disque du grand artiste qui sait passer outre les modes et les tentations pour bâtir une carrière solide et brillante, au-delà des considérations influentes de la société bien pensante.
Mon avis importe peu, comme comme celui du voisin. Nick Cave dirige son navire au gré des remous d’une vie sans pitié ni partage, quelque soit votre statut et vos émois. Une vie faite de corps et d’âmes qui se font et se défont sous nos yeux, inéluctablement.
Nick Cave And The Bad Seeds, Skeleton Tree, depuis le 09 septembre chez Bad Seed Ltd.
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