[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#333399″]N[/mks_dropcap]icolas Jaillet est un farfadet de la littérature, et bien malin celui qui parviendra à le réduire à un style ou à un genre. Qu’on en juge : Sansalina, western sorti chez Folio en 2007, Nous les maîtres du monde, thriller publié en 2010 chez Après la lune, et enfin La maison, inoubliable roman noir préfacé par Marcus Malte, publié par Rue du Départ en 2013 puis en poche chez Milady Thriller… Et encore s’en tient-on à la forme romanesque. Car Nicolas Jaillet, c’est aussi des paroles de chansons (pour Alexis HK notamment), des traductions, des synopsis, des pièces de théâtre…
Inutile de jouer les blasés : Nicolas Jaillet parvient encore une fois à nous surprendre avec ce Ravissantes qui a toutes les apparences d’un « feelgood book » à lire en vacances, vous savez, ce genre de livre qu’on feuillette distraitement, qu’on laisse traîner dans un coin et qu’on oublie aussitôt. Pour dire à quel point le livre déconcerte, un site de vente en ligne a cru bon de le classer au rayon « Littérature érotique et sentimentale ». Il faut dire que l’éditeur a joué le jeu jusqu’au bout, avec une couverture à la fois tape-à-l’oeil et ironique. Une fois piégé par l’emballage, le lecteur n’a plus qu’à se faire une raison… La cavalcade loufoque à laquelle nous convie Nicolas Jaillet est à peu près irrésistible.
Trois personnages principaux.
Ilona Kowalsk, 22 ans, 1,80 m, 56 kilos, 84-59-86, mannequin, bellissime, intelligente mais tellement inconsciente de sa propre valeur qu’elle rumine sa solitude.
Lucie Chanterelle, 1,60 m, 70 kilos, 110-80-120, l’amie et l’agent d’Ilona, vendeuse dans un magasin de chaussures ringard, ronde et délicieuse, fruit sensuel hors normes, croqueuse d’hommes insouciante et joyeuse, gourmande de tout.
Pierre, jeune type pas très beau mais qui sait écouter et toucher les femmes, a trouvé le bon moyen pour ne pas avoir à se lever tôt le matin. Pour gagner sa vie, il monnaye ses services et ses charmes, et ça ne dérange personne. Voire, ça rend heureux.
Tout ce joli monde vit à Paris. Ilona et Pierre sont voisins, et Ilona la solitaire doit faire preuve de patience… Les cloisons de son appartement sont en papier et les clientes de Pierre souvent expansives. Et pendant ce temps-là, Ilona ronge son frein en grignotant ses 50 calories, juste avant de s’infliger une séance de rameur, de filer sous la douche et de se précipiter à son casting du jour. Où, encore une fois, on la traitera comme du bétail.
Autour de ces trois personnages principaux hautement symboliques, et de personnages secondaires pour lesquels l’auteur prend un malin plaisir à forcer le trait jusqu’à la caricature, va se mettre en place un ballet fantasque, une comédie à rebondissements, à malentendus et à portes qui claquent où l’humour le dispute au burlesque. Ravissantes est un roman, mais pourrait tout aussi bien être un film – pour peu qu’un disciple de Lubitsch s’en mêle – ou une pièce de théâtre. La mécanique fonctionne, et au final, bien sûr, on s’aperçoit que rien n’est simple… Le milieu de la mode en prend pour son grade, ou plutôt les personnages qui le rendent insupportable et qui, finalement, malgré leur aspect caricatural, ne sont pas si éloignés de la réalité. Le corps des femmes, la façon qu’on a de le vendre, de le maquiller, de le mépriser, retrouve à travers les péripéties imaginées par Nicolas Jaillet sa dignité, sa capacité de bonheur et d’épanouissement. Pour un peu, on oublierait de se mettre au régime avant les vacances d’été… Ravissantes ne se soucie guère de vraisemblance, bien au contraire. Mais la vie est-elle vraisemblable ?
Au bout du compte, ce roman où on rit beaucoup laisse derrière lui une traînée parfumée de liberté, de joie de vivre et, surtout, des effluves salutaires de révolte et de non-conformisme. De quoi nous réconcilier avec la gent masculine, pour peu qu’elle ait autant d’humour et d’intelligence que Nicolas Jaillet.
Retrouvez l’interview en roue libre de Nicolas Jaillet