[dropcap]S[/dropcap]ouvent plus connu sous le nom de Jean Amila, pseudonyme qu’il utilisa dans les années 50 à 80 pour une vingtaine de polars parus à la Série Noire, Jean Meckert publia son premier roman, Les coups, chez Gallimard en 1941. Auteur prolifique, il écrivit au cours de sa vie plusieurs dizaines d’ouvrages sous différents pseudos, allant de la littérature dite populaire (ou prolétarienne) au roman noir en passant par le théâtre ou des textes plus réalistes, veine à laquelle appartient Nous avons les mains rouges, dont la première édition parut en 1947 dans la collection Blanche de Gallimard.
L’éditrice Joëlle Losfeld avait, entre 2005 et 2008, réédité six des romans signés Meckert, dans la collection Arcanes. Il faut donc se réjouir que l’entreprise continue aujourd’hui avec ce texte sombre et désenchanté, dans lequel Meckert démonte rageusement le mythe de l’après-Libération.
Au fond, qu’allait-il faire à Paris où il n’avait plus d’attaches, où il avait une réputation à remonter, des copains vagues à retrouver et des petits comptes à régler… Il y avait maintenant près de deux ans que le drame s’était joué, à l’auberge Cosset. Deux années de détention, y compris le court passage aux assises, le jugement, la légitime défense mal reconnue, les bons antécédents, les larges circonstances atténuantes… Jean Meckert
Emprisonné pendant vingt-deux mois pour avoir tué un homme lors d’une rixe, Laurent Lavalette, à sa sortie de prison, trouve du travail dans la scierie dirigée par M. d ‘Essartaut. Il réalisera bientôt que son nouveau patron mène un groupe de maquisards avec lequel il entend mettre fin aux injustices qui auraient dû disparaître à la Libération. Laurent suit les combattants de l’ombre dans leurs expéditions punitives mais le groupe se retrouvera bientôt dépassé par les événements et des désaccords vont naître, irréparables.
Période trouble s’il en est, l’après-guerre oppose dans la plus grande confusion la joie de la Libération et la rage de constater que certains ont su profiter du conflit mieux que les autres et s’en sortent avec les honneurs, la fortune ou le pouvoir. Forts de leurs actions héroïques contre l’envahisseur allemand, certains groupes de résistants refusent de déposer les armes et décident de faire justice eux-mêmes, considérant que le gouvernement ne remplit pas ses devoirs vis-à-vis de ces traîtres à la nation.
Nous avons espéré ; puis, nous avons lutté, et puis nous avons tué pour un monde meilleur. Ceux qui sont morts chez nous, ceux qui sont morts en face dans la plénitude de leur conscience, ont droit que les tueurs survivants ne cèdent pas le flambeau aux habiles de carrière. Si nous avons lutté les armes à la main contre ce qui nous paraissait néfaste, pourquoi vouloir céder maintenant au dégoût de la paix confisquée ?Jean Meckert
Menant leur propre guerre, d’Essartaut et ses hommes se rêvent en justiciers quand ils ne sont le plus souvent que des tueurs. Laurent, qui fut incarcéré pour les mêmes motifs, commence à s’interroger sur la légitimité de leur action et, malgré sa haine du « plouc », leur ennemi commun, comprend rapidement que cette voie est sans issue, la soif de vengeance de ces hommes ne sera jamais étanchée. A ce titre, le réquisitoire du pasteur Bertod est éloquent :
(…) Je suis un homme aux mains rouges ! Et les hommes aux mains rouges n’ont plus qu’une voie tracée qui les mène à l’absolution : la haine du mal ! L’engagement à fond, jusqu’au meurtre possible, contre tout ce qui est bas et néfaste ! C’est ainsi que j’ai vu ma lutte contre les soldats verts. C’est ainsi que je reste contre les noirs. Décidé à tout, envers tout, contre tout ! N’ayant plus de salut qu’au bout de ma haine sacrée ! Car si l’on admet que Dieu se mêle à la guerre, il faut admettre qu’il se mêle au nettoyage ! Sinon, tout n’est qu’une immense duperie !Jean Meckert
Loin des clichés lénifiants autour de la Résistance et de la Libération, Meckert s’attaque avec hargne à cet héroïsme trompeur, ce besoin de faire justice soi-même, de s’auto-proclamer redresseur de torts alors même que la guerre est finie. Pas de dogmatisme ici, juste une rage froide qui contraste étonnamment avec le ton parfois suranné qu’ont les conversations des protagonistes. Nous avons les mains rouges est assurément un texte fort et salutaire qui se fait fort de dénoncer la barbarie, surtout quand elle prend des airs vertueux.
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Nous avons les mains rouges
de Jean Meckert
Paru le 16 janvier 2020 aux éditions Joëlle Losfeld
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Image à la une : Photo présentée page 150 (tome 2) du livre de Stéphane Robine : Quatre années de lutte clandestine : les résistants du Bocage ornais. Flers : Le Pays Bas-Normand, tome 2, 2005 (paru en 2006) / PhotosNormandie / Flickr