Il n’y a beaucoup de poésie en ce moment j’ai dit à mon père.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#1fc6c1″]V[/mks_dropcap]oilà ce qu’exprime le narrateur à son père au début de Poétique de l’emploi de Noémi Lefebvre. Ce récit d’un jeune fils et de son père omniprésent et omnipotent se déroule à Lyon. L’époque n’est pas déterminée mais ressemble à la nôtre tant l’inadéquation de la poésie avec celle-ci est concrète actuellement.
C’est donc l’histoire d’un jeune, errant dans la vie sous l’ombre de son père, fumant de l’herbe, essayant de comprendre le monde où il vit et finissant par se dire qu’il en est très éloigné, plutôt à la marge. Il réfléchit sur le langage avec notamment la lecture de Victor Klemperer et sa description de la novlangue nazie.
Pour autant ce n’était pas le IIIe Reich ça, je tiens à le dire. Il faut tout de même pas chier. (p73)
Ce monde dans lequel notre héros évolue est la version fictionnelle de notre époque. Une époque sécuritaire, où le sens du travail est réduit à son aspect le moins libératoire. À travers une langue tour à tour drôle, émouvante et acérée, Noémi Lefebvre fait réfléchir sur le carcan où la société nous emprisonne et ce contre quoi on lutte : ne pas vouloir être réduit à un emploi, vouloir exercer l’écriture alors que ça n’est pas rentable. Cette lucidité apparaît à la lecture comme libératrice. Tandis qu’elle dresse le portrait d’un jeune poète sans ambition, elle le confronte à ce mur du réel de notre société. Soit on s’y fracasse, soit on l’évite en passant à travers.
Mes idées sans efficacité étaient vouées à l’échec. Tu peux réussir, voilà ce que je me disais pour m’encourager dans cette voie sans avenir, mais je ne pouvais pas réussir sans rater car toute réussite relève de l’efficacité de la filière agroalimentaire de la lignée de mon père à laquelle j’appartiens sans l’avoir demander.
L’échec de l’inefficacité est une réussite agroalimentaire a dit mon père un jour où il avait bu. (p89)
La beauté du livre se situe entre le décalage et la lucidité. Ce livre, au-delà de l’histoire de ce jeune homme, est un traité pour ceux qui voudraient écrire. Le texte est jalonné de leçons aux poètes qui ironiquement dit beaucoup de l’inconfort de notre temps pour ceux qui ne s’y définissent pas.