[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#800000″]Q[/mks_dropcap]u’est-ce qu’un dandy ? La question mérite d’être posée aujourd’hui encore. Noyés dans une époque où l’image prend le pas sur le fond au point de toucher au ridicule, au grandiloquent voire au grotesque, nous cédons tous peu ou prou à cette quête désespérée et désespérante du beau, du propre, du jeune surtout. Rien ne doit laisser transparaitre les effets du temps, les ravages des années qui coulent inexorablement tel un fleuve furieux, creusant un peu plus chaque jour les traits du visage et l’attrait de la vie.
Y’a-t-il œuvre plus explicite -et plus moderne donc- que celle d’Oscar Wilde pour dire l’angoisse qui étreint l’Homme face au sort qui l’attend. L’insouciance des jeunes années, le leurre d’une vie trépidante, exaltante où l’on se rue à la découverte du monde, de ses beautés et de ses jeux les plus affriolants. Aveugle au spectre lointain de l’usure, de la fatigue physique tout aussi bien que psychologique puisque les dés sont pipés, puisque la course est perdue d’avance.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#800000″]S[/mks_dropcap]es contemporains taxaient le mondain de bien des vices, lui reprochant sa frivolité, son hédonisme aussi. Mais que ne voyaient-ils la vivacité de l’esprit, la force et la profondeur du propos d’un auteur totalement plongé dans une recherche spirituelle et un questionnement permanent sur ce que doit être la morale et son « utilité ». Tout le paradoxe, efficacement mis en évidence par l’adaptation délicate, ciselée de Thomas Le Douarec, et quelque part la méprise tiennent à une forme d’incompréhension. Wilde en témoignait dans bien que mal en regrettant qu’on l’assimila au personnage de Dorian Gray quand lui disait tenir davantage de celui de Basil Hallward. Ce dernier tenant le rôle ingrat consistant à tenter de faire croire au mirage d’une vie éternelle, de farder la réalité dans un combat contre l’inéluctable vieillissement.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#800000″]C[/mks_dropcap]’est bien cela que nous conte le spectacle : toute quête philosophique et religieuse tend à trouver un sens à la vie, à bâtir une vie digne à défaut de se révéler utile, à se préparer autant que faire se peut à un au-delà dont l’espérance demeure fragile et l’image floue. Oui mais voilà, le modernisme, le scientisme ont fait leur œuvre. Le jeunisme a pris la place de Dieu. Vivre l’instant, sans remords ni regrets, sans se retourner sur les cadavres laissés au bord de la route, ceux-là mêmes que nous assassinons en pleine conscience parce que notre égoïsme et nos faiblesses nous rendent infirmes à déceler une possible profondeur en-dessous de la surface.
Parés de costumes victoriens de toute beauté, précipités au cœur d’une scénographie minimalise ou le fameux portrait semble projeter toute l’horreur du pacte maudit, les quatre comédiens au premier rang desquels Thomas Le Douarec lui-même, jouent un jeu dangereux. Celui de l’oubli de soi pour s’adonner au plaisir de l’éphémère, de l’instant présent. L’amour, avoué ou tu, n’est pas absent de ce parcours initiatique. Il n’emportera cependant pas la mise. L’illusion d’une vie éternelle sera tenace mais la mort aura raison du plus beau, du plus sûr, du plus arrogant. Pauvres mortels que nous sommes, naïfs emportés par la tempête d’une fatalité qui rongera indubitablement nos plus beaux apparats. D’un romantisme baroque et un rien gothique, la force de la mise en scène servie par un quatuor d’une élégance toute britannique lorgne aussi vers un certain cabaret expressionniste que Kurt Weill et son immense interprète Ute Lemper n’auraient sans doute pas renié. Comment et pourquoi résister à la tentation d’un portrait aussi joliment retouché ?!
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#800000″]L[/mks_dropcap]e pitch : Par la magie d’un vœu, Dorian Gray conserve la grâce et la beauté de sa jeunesse. Seul son portrait vieillira. Le jeune dandy s’adonne alors à toutes les expériences.
Oscar Wilde vous lance dans une quête du plaisir et de la beauté sous toutes ses formes, belles ou atroces ; l’art n’a rien à voir avec la morale. L’œuvre la plus personnelle de Wilde, il disait : » Dorian Gray contient trop de moi-même, Basil est ce que je pense être, Harry ce que les gens pensent que je suis et Dorian ce que j’aurais aimé être en d’autres temps. « .
Le roman qui scandalisa l’Angleterre victorienne ! Oscar Wilde fut mis en prison pour avoir vécut ce qu’il écrivait.
Le portrait de Dorian Gray
Théâtre classique de Oscar Wilde – Mise en scène : Thomas Le Douarec
Avec : Thomas Le Douarec, Arnaud Denis, Valentin de Carbonnières, Lucile Marquis, Caroline Devismes, Fabrice Scott
Au Théâtre le Lucernaire,
53 Rue Notre Dame des Champs – 75006 PARIS
Du 20 Janvier au 3 Avril 2016 – Réservations