[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ous le savez, chez Addict, nous ne sommes que paix et amour. C’est pour cette raison que nous tenons à vous prévenir que, avec l’objet de cette chronique, vous allez bientôt entrer dans une zone de turbulences assez remuante. Aussi, amis de la ligne claire, des mélodies chiadées, du lyrisme romantique, passez votre chemin et n’hésitez pas à vous orienter vers des contrées plus douces (le premier album de The Saxophones par exemple). Pour les autres bienvenue dans Romance, 13ème album (hors collaboration) d’Oneida, disque paré pour le trekking sauvage sans boussole en territoire hostile.
Pour débuter, présentations : Oneida, c’est un quintet américain qui a toujours eu pour ligne de conduite de ne pas se répéter. Pour ce faire, quoi de mieux que d’explorer des territoires aux frontières du psyché, du kraut et de l’expérimentation ? Ben … jusque là … rien.
Formé en 1997, le groupe a d’abord sorti quatre albums dans un certain anonymat (pas tant que ça rassurez-vous, le groupe a tout de même signé après deux albums chez Jagjaguwar, label indépendant à la pointe de la musique exigeante) avant de connaître une notoriété tout à fait méritée avec l’excellent Each One Teach One en 2002. Depuis, ils ont sorti pléthore d’albums tous plus ou moins recommandés (dans les plus on notera Rated O, très bon triple barré qui, sans véritable chant, parvient à tenir l’auditeur en haleine, chargée, pendant près de deux heures).
Ces dernières semaines est sorti Romance, album non dénué d’humour et plus perché encore que le reste de leur discographie. Contextualisons un peu la chose : pour la première fois de leur carrière, le groupe sort un long format après six années de non activité officielle (bon ok, on peut voir leur collaboration avec Rhys Chatham comme un sursaut mais…). Ensuite, après une collaboration de douze ans, c’est la première fois que le groupe fait le choix d’un autre « gros » label indépendant, Joyful Noise Records.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]ourtant, à l’écoute de Romance, il est évident qu’il ne pouvait en être autrement tant il embrasse complètement l’esprit du label. Comme Joan Of Arc ou Deerhoof, groupes emblématiques de Joyful Noise, Oneida joue l’équilibriste entre chaos et mélodie. Sauf que là où Joan Of Arc sape ses mélodies par le chaos, Romance lui, de façon perverse, va faire l’inverse : essayer d’introduire de l’harmonie dans le bordel. Aussi, dès Economy Travel, morceau introductif, on sait que c’est loin d’être gagné. Morceau low cost déstabilisant, à l’humour surréaliste (le groupe ayant retrouvé la parole se présente à nouveau, au cas où nous aurions oublié le son de leur voix), Economy Travel, avec ses petits détails sonores, vous secoue dans tous les sens, presque jusqu’à la nausée, et ce grâce à une absence de mélodie assez notoire ainsi qu’une rythmique d’une instabilité remarquable. Après cette introduction vient Bad Habit, versant noise de Romance. Là, sur près de six minutes vous aurez droit à des guitares stridentes, saturées qui créeront un mur du son façon Glenn Branca sur lequel les voix vont venir s’écraser et laisser place à d’autres guitares, encore plus noises. Là encore, pas de mélodies et même plus de rythmique, le batteur s’étant apparemment paumé lors du morceau précédent. Heureusement, les mélodies vont enfin faire leur apparition et All Due In time va remettre le groupe dans un chemin à peine moins chaotique mais un peu plus balisé : tout en conservant leur obsession habituelle (Can), les Américains vont revisiter l’électro d’Aphex Twin par le prisme de New Order, aboutissant à un morceau à la fois accessible et très expérimental. Ensuite, si vous aviez raccroché un tant soit peu le wagon, Oneida se charge de vous larguer définitivement avec It Was Me, où le groupe abandonne l’accessibilité pour aller plus loin encore dans l’expérimental en synthétisant la formule noise et déstructurée des deux premiers morceaux.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]à, en toute logique, soit vous avez lâché l’affaire, soit vous êtes complètement dedans. Bref, Romance va prendre son rythme de trekking pour vous paumer admirablement dans des contrées inhospitalières visitées par de rares groupes. On reconnaîtra les Liars sur Good Lie (mais des Liars adeptes du bruit blanc et de l’ambient), Can et toute la clique Kraut sur la seconde moitié de l’album avec quelques incartades vers le gros rock qui tâche (Cockfight ou cette impression d’entendre Daniel Johnston jouer du AC/DC) mais on reconnaîtra surtout un groupe épris de liberté, faisant ce qui lui plaît sans avoir de comptes à rendre. Un groupe capable de digressions remarquables (le superbe Lay Of The Land), de formidables fusions (Cedars par exemple, comme si le Can de Bring Me Coffee s’était mis à la noise), s’autorisant à être passionnant lors des longs formats (le grandiose Shepherd’s Axe, long trip psyché/drone où la tension va croissant jusqu’à ce que les percussions viennent remettre un peu d’ordre dans tout ce bordel noise). Un groupe enfin encore sous l’effet euphorisant de leur nouvelle relation, à qui Joyful Noise semble avoir dit : allez-y les gars, faites ce que vous voulez, vous avez quartier libre. Et de fait, au risque de perdre de nombreuses fois l’auditeur, Oneida va, en mode hypomaniaque, multiplier les idées, les chausse-trappes, goûter à une liberté qu’ils semblaient avoir un peu oubliée. C’est le bordel, le chaos même, ça ne s’interdit rien, mais c’est surtout jouissif et exaltant, comme au début d’une romance.
Bref, malgré des apparences trompeuses, rarement un disque aura aussi bien porté son nom.