[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ead835″]Q[/mks_dropcap]uand débute la lecture du texte de Marielle Macé, on a l’impression d’un mille-feuilles emmenant la pensée vers un entendement riche et éclairant, étayé par de nombreuses citations et des faits concrets. L’ensemble étant ramifié par une langue forte, en adéquation avec cette montée en puissance du propos. Le texte aboutit sur une pensée simple, devenue évidente pour le lecteur quand il referme le livre. Le chemin qu’est le texte restera nécessaire pour permettre cette persuasion.
L’essai écrit par Marielle Macé s’intitule Sidérer, Considérer (Migrants en France, 2017) et est publié, pour cette rentrée littéraire, aux éditions Verdier. C’est un texte court (67 pages), qui part d’une sidération face à l’emplacement d’un camp de réfugiés se situant, dans Paris, à côté de la Cité de la Mode, de la BNF et de ce qui fut un ancien camp d’internement nazi. De là, Marielle Macé va donner sens à ces correspondances pour en exprimer la sidération. Nous sommes tous capables de ressentir ce sentiment, notamment par rapport à la crise migratoire. Face aux images, aux réflexions et décisions politiques irrationnelles sur la question que relaient les médias, nous sommes possédés d’un sentiment de sidération qu’il faut dépasser.
Marielle Macé s’appuie sur des bases autant littéraires que linguistiques, mais également sur du vécu et des engagements comme celui du PEROU (Pôle des Exploitations des Ressources Urbaines). Tous ces éléments renforcent le propos, le justifient, le situent dans un contexte. C’est de manière brillante que l’essayiste se place dans une démarche de réflexion non didactique. Elle aborde la question de la considération à travers des exemples signifiants. Elle parle de Francis Ponge, et de la notion de « rage de l’expression » que le poète a développée : nécessité de parler de la réalité par l’égard que nous en avons. Il y a également la notion du « dépaysement » de Jean-Christophe Bailly, que Marielle Macé présente ainsi :
C’est-à-dire que c’est surtout une décision. Il faut vouloir définir le pays comme quelque chose que l’on peut quitter et qui se définit justement par l’infinité de départs qu’il autorise, en pratique, en pensée (et aujourd’hui spécifiquement, c’est si clair : en accueil) ».
Bien d’autres vont remplir ce livre pourtant si court, permettant à cette possibilité de « considération » d’être expliquée.
On peut voir (pour ne pas dire considérer) que le texte de Marielle Macé participe de l’effort de considération qu’elle décrit par la littérature ou les sciences sociales. Il y eut d’abord la sidération face aux images des barques chargées d’hommes et de femmes sur la mer Méditerranée. Puis la considération, avec des textes comme celui de Florence Pazzottu (Frères Numains, discours aux classes intermédiaires aux éditions Al Dante) et d’autres.
Ce livre permet de percevoir cet effort de considération. Il ne s’agit en aucun cas d’une injonction, mais d’un effort « naturel » pour ne pas rester dans cet état de sidération. Marielle Macé le décrit avec la lucidité rendue par l’évidence :
« Considérer, ce serait au contraire aller y voir, tenir compte des vivants, de leurs vies effectives […] tenir compte de leurs pratiques, de leurs jours, et par conséquent déclore ce que la sidération enclot […] ».
Sidérer, Considérer (Migrants en France, 2017) de Marielle Macé
24 août 2017 – Éditions Verdier