Le nom SUUNS est une déformation du mot SŪN qui veut dire zéro en thaï. Au départ, les 4 montréalais avaient choisi le nom de ZEROES mais pour des raisons légales ils durent changer et trouvèrent donc ce subterfuge tout aussi malin que génial pour garder, en quelque sorte, le même nom. Je ne sais pas pourquoi ils ont choisi au départ cette référence au zéro, objet arithmétique singulier, mais il me fait à la fois penser au vide, au point de départ et également au renouveau, ce qui à mon avis caractérise bien leurs chansons.
Un concert à La Gaîté Lyrique c’est souvent un plaisir. D’abord pour la salle. C’est une sorte de caisson cubique géant recouvert d’une coque de métal, installé au premier étage d’un superbe théâtre datant du XVIIIème siècle. L’espace autour du caisson accueille une population interlope qui navigue entre le foyer du théâtre au décor intact, où se trouve le bar, et la salle de concert bien protégée dans sa gangue de métal.
Pénétrer dans cette salle c’est constater que le cube est beaucoup plus grand à l’intérieur qu’il ne semble l’être à l’extérieur. C’est donc déjà se retrouver dans un autre univers, un peu à part, beaucoup ailleurs.
Ensuite c’est constater que tout a été fait pour le confort du spectateur, la hauteur de la scène, la qualité de l’acoustique, les écrans géants prévus pour les éventuelles projections vidéographiques, tout concourt à notre confort.
C’est donc dans ces bonnes dispositions que je m’apprêtais à voir SUUNS, groupe chéri depuis leur premier album et consacré par moi-même parmi les meilleurs albums de 2013. Pourtant je n’attendais vraiment rien de spécial, n’ayant d’abord jamais eu la chance de les voir en live et surtout étant particulièrement refroidi par la prestation de Alt-J quelques jours auparavant.
Après une première partie plutôt agréable, Holy Strays, électro minimaliste et claustrophobe, entre spéléologie et trek en forêt amazonienne, puis le temps d’un rafraîchissement la foule se presse alors aux portes du caisson de téléportation sur la planète SUUNS.
21:20 (heure prévue du début du concert … merci pour la ponctualité et le souci de la précision au passage) : les écrans diffusent une vidéo dans laquelle on peut progressivement voir apparaître un soleil (enfin moi je voyais un soleil) en même temps que les enceintes inondent la salle d’un message dans une langue étrangère (thaï?) dont la scansion fait penser à une prière, un prêche plutôt.
Le groupe entre en scène, le soleil se fait de plus en plus visible, et je comprends intuitivement que le groupe nous propose ce soir de voyager dans la direction de l’astre incandescent. La suite ne me donnera pas tort. Je n’imaginais pourtant pas que cette proposition audacieuse incluait de faire ce trajet à la vitesse de la lumière avec pour pilotes de l’étrange vaisseau dans lequel nous étions montés, 4 membres complètement siphonnés.
Il y a des groupes qui en live jouent leurs chansons, SUUNS non. En concert ils jouent leur musique, ils font de la musique, je ne sais pas bien comment le dire mieux. Ils utilisent leurs compositions comme matériau de base et tels des sisyphes ils semblent reconstruire, face aux spectateurs subjugués, leur musique. Très progressivement au fil des titres ils ont su captiver l’attention de la foule.
Alors que les projections vidéos proposaient des images de plus en plus hypnotiques, donnant l’impression, aux hallucinés que nous étions, d’avoir été balancés dans l’espace à la vitesse d’un éléctron dans un accélérateur de particules, les 4 Montréalais manipulaient leurs compos comme du métal en fusion.
Le tordre, le distordre, l’allonger, le compresser en tout sens pour le forcer à prendre la forme, les formes, qu’ils souhaitaient lui imposer, tel semblait être leur objectif. Sans hésiter, les musiciens naviguaient parfois en des lieux que beaucoup se refusent à explorer en live, offrant quelques nouvelles productions très très très alléchantes et proposant çà et là des variations surprenantes mais toujours très intéressantes des titres connus.
J’en garde l’impression d’avoir participé à un vrai concert, vivant, enthousiasmant, déroutant, une performance de musiciens et de chanteurs généreux et passionnés par l’art qu’ils ont choisi.
« Papa, Maman, le voyage vers le Soleil s’est bien déroulé. J’ai vu des milliards d’étoiles, j’ai gravité autour de la Lune, j’ai même vu des éruptions solaires. Nous ne nous sommes pas arrêtés au point indiqué nous avons navigué bien plus loin, au-delà même de la galaxie. Je suis si loin maintenant que je ne reviendrai plus, je vous envoie alors des Images du Futur »