I Have Let You Down (New York).
C’est par ce constat cruel et lucide que débute l’un des plus extraordinaires albums de cette année 2015, celui de The White Birch. Pour mémoire, The White Birch c’est le groupe du Norvégien Ola Flottum. D’abord quatuor (jusqu’en 2000) puis trio, le groupe se sépare en 2006 après une décennie de bons et loyaux services et quelques albums au pire excellents (Come Up For Air) au mieux indispensables (Star Is Just A Sun). S’ensuit un hiatus de dix ans pendant lequel Flottum se tourne vers la composition de Bande Originale (quatre en dix ans dont celle d’Oslo, 31 Août pour laquelle il créé Lamentation, présent dans une version un peu remaniée sur The Weight Of Spring) et où il continue à composer pour lui-même, mettant de côté une petite dizaine de morceaux qui formeront au final The Weight Of Spring. Au bout de dix ans, une fois le matériau présent, l’évidence s’impose d’elle-même : il est temps de reformer The White Birch. Seul.
Once I Was Just A Boy With A Need To Destroy, Now I Will Be A Man, I Will Rise From This Land (Sold Dirt)
Premier album en dix ans donc, The Weight Of Spring se présente comme celui de l’apaisement, ou plus précisément comme une forme musicale de résilience. Un disque traversé par les deuils mais surtout habité par l’acceptation. Celle des pertes, des renoncements, des joies, des risques, des changements ; Le fait que nous ne sommes rien, que, contrairement à la croyance populaire, l’amour ne changera rien au monde (Love Will Never Change The Morning Sun, Love Will Never Change The Way The Darkness Runs), que la vie n’est qu’un tas de merde duquel éclot parfois quelques beautés. Flottum pose un regard lucide et distancié sur les événements qui ont jalonné sa vie depuis la séparation de The White Birch, sans aucune animosité, ni amertume et encore moins de colère, à peine quelques regrets.
C’est justement cette quasi-absence de sentiments négatifs qui fait toute la beauté de ce disque. De colère, il ne reste donc plus aucune trace, seule demeure l’émotion, à fleur de peau, bouleversante. Qu’il aborde le décès de sa mère, son enfance, tout est évoqué ici avec une pudeur, une retenue qu’on retrouve même jusque dans la voix de Flottum, rappelant tantôt celle de Thomas Feiner sans envolée, tantôt celle de Leonard Cohen (notamment sur Sold Dirt). De pudeur il en est question également dans cette musique, jouant sur la retenue, les silences, comme savaient si bien le faire Mark Hollis, It’s Immaterial sur Songs, les Montgolfier Brothers ou encore, plus près de nous, Paul Buchanan avec Mid-Air.
En dix ans d’absence, la musique de The White Birch n’a pas changé d’un iota et pourtant tout y est différent : désormais seul membre à bord, Flottum a toute la latitude qu’il veut pour créer sans compromissions. Rien ne change donc, on reste dans le territoire du Slowcore, mais tout y est différent : exit les tensions, on explore avec émerveillement le Folk Orchestral d’un Dakota Suite sans la mélancolie insondable des Britanniques. L’auditeur se retrouve face à une musique orchestrale d’une grande modestie, dans laquelle Flottum pourrait à de nombreux moments jouer la surenchère, durcir le ton (la montée sur New York), virer au pathos (l’élégiaque Mother et son final qui, au lieu d’être grandiloquent, est juste beau à pleurer) mais pour laquelle sa sensibilité à fleur de peau fait mouche à chaque note et renvoie en miroir un panel d’émotions complexes allant de la stupéfaction à l’apaisement en passant par l’addiction la plus totale. Bref, The Weight Of Spring est un disque qui détruit vos défenses et parle directement à l’intime comme pouvait le faire il y a près de vingt ans le Fixed Water de Sophia. Mais là où l’album de Robin Proper Sheppard dressait un état des lieux d’un traumatisme encore à vif, celui de The White Birch passe à l’étape suivante, celle où les blessures se referment, où la vie reprend ses droits, où l’avenir, encore incertain, fragile, s’annonce tout de même radieux (le superbe et apaisé Spring, écho lointain au Sad Song de Lou Reed, en est la preuve musicale).
Voilà donc un album qui secoue, bouscule comme rarement. Avec une infinie douceur. Un disque dont la beauté vous saute littéralement à la figure, obsédant, dont les chansons vous hantent longtemps après les dernières mesures. Un disque pour lequel, après la première découverte, on aménage l’espace (seul, le casque sur les oreilles, un paquet de mouchoirs à portée de main) et le temps afin de pouvoir s’immerger complètement dedans. Un disque dont on sait intimement que l’heure entamée sera émotionnellement riche, qu’une fois la touche play enfoncée on se verra dans l’obligation de mener l’addiction à son terme et surtout que le silence qui suivra Spring, grandiose conclusion, sera encore du The White Birch. En somme, si vous ne l’avez pas encore compris, pour ceux qui prévoyaient en duo gagnant de fin d’année le Sufjan Stevens et The Appartments, ils devront désormais compter sur le discret et somptueux The Weight Of Spring pour modifier le duo en trio. En revanche leurs albums devront être d’un sacré niveau pour le déloger de la plus haute marche qui devrait lui échoir logiquement dans quelques mois.
Sortie le 27 février chez tous les disquaires faisant preuve de bon goût.
Le groupe était déjà pas violent mais alors là on atteint des sommets. Le challenge c’est de ne pas s’endormir avant la fin.
Merci pour cette chronique : pour la première fois dans un texte je lis associés The White Birch et The Mongolfier Brothers, deux groupes immenses et si peu connus… Et la présence de Sophia complète admirablement ce rapprochement…