Ce matin nous revenons sur un des ouvrages qui fait parler de lui en cette rentrée littéraire, le dernier roman de Cécile Coulon, « Une bête au Paradis » paru aux Editions Iconoclaste. Ce n’est pas une mais deux chroniques que nous vous proposons donc.
La première, celle de Yann, qui nous explique pourquoi il a été un peu déçu par le très (trop) attendu nouveau roman de Cécile Coulon…
Puis vous découvrirez l’avis plus enthousiaste de Typhaine. Ce que l’on retiendra de ces deux avis ? Que la littérature n’a pas fini de nous faire débattre et tant mieux !
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« Une bête au Paradis » : une rentrée en demi-teinte pour Cécile Coulon
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]rix France Culture-Télérama pour « Le roi n’a pas sommeil » en 2012, Prix des libraires 2017 pour « Trois saisons d’orage » (Viviane Hamy), prix Guillaume Apollinaire 2018 pour « Les ronces », recueil de poésies (Castor Astral), Cécile Coulon, 29 ans à peine, semble vouloir brûler les étapes et jouit d’une belle estime, tant du côté des libraires et des critiques que de celui des lecteurs. Cette unanimité aussi rare que flatteuse pourrait être mise en défaut avec la parution d’«Une bête au Paradis » (L’Iconoclaste). Et pour cause, ce roman, annoncé depuis le début de l’été comme un des titres les plus en vue de la rentrée littéraire française, s’expose donc, bien malgré lui sans doute, au risque de provoquer une déception à la hauteur de l’attente ainsi créée…
Dans sa ferme du Paradis, Emilienne a recueilli Blanche et son frère Gabriel à la mort de leurs parents. Louis les y a rejoints un soir, refusant de supporter plus longtemps la violence paternelle. La vieille femme apporte à tous, à sa façon, l’amour dont ils ont besoin et s’assure que la ferme ne périclite pas… Lorsque Blanche tombe éperdument amoureuse d’Alexandre, c’est tout cet équilibre qui va être remis en question.
Si l’histoire d’amour entre Blanche et Alexandre constitue la colonne vertébrale du roman, on n’est pas ici, loin s’en faut, dans la bluette niaise. En se penchant au plus près sur ses personnages, Cécile Coulon parvient à retranscrire avec force et précision les courants émotionnels qui les animent. C’est dans cette description des tensions larvées brutalement révélées que l’autrice est la plus convaincante, ces moments où la part sauvage de chacun(e) l’emporte sur la raison et détruit en quelques minutes tout ce qui a été patiemment construit jusque-là. Portraitiste attentive, elle apporte autant de soin à la description des personnages principaux qu’à celle des « seconds rôles » qui viennent étoffer le récit plus efficacement que de simples figurants. C’est peut-être finalement la personnalité d’Alexandre qui peinera le plus à convaincre, comme si l’autrice elle-même avait eu du mal à le définir, oscillant entre clémence et dureté, sans lui permettre de trouver la stature qui devrait être la sienne.
Revenant sur un thème déjà rencontré dans de précédents romans, à savoir la confrontation entre deux mondes (ville/campagne), Cécile Coulon donne à son récit un manichéisme un peu convenu qui lui ôte une partie de sa force et affaiblit la portée du drame final, que d’aucuns qualifieront de prévisible … C’est d’autant plus regrettable au vu des efforts déployés par l’autrice pour installer une atmosphère électrique et pesante tout au long du roman.
Oublions donc les pronostics, « Une bête au Paradis » ne tient pas toutes ses promesses et reste bien en deçà de ce que l’on a pu lire précédemment de la part de la jeune clermontoise. Alors certes, le texte trouvera aisément sa place au sein de la production automnale et figurera à n’en pas douter sur quelques sélections de prix littéraires. On se permettra cependant de regretter que le capital sympathie dont bénéficie à juste titre Cécile Coulon semble donner à son texte des qualités que l’on n’y a malheureusement pas trouvées et prévale sur l’honnêteté de certains retours.
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[mks_tab_item title= »L’avis de Typhaine »]
La teinte pourpre et incandescente du Paradis chez Cécile Coulon…
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#33cccc »]A[/mks_dropcap]près les conjectures dithyrambiques du monde littéraire, l’engouement largement partagé des libraires, et le presque adoubement de son œuvre par François Busnel, Cécile Coulon et sa Bête au Paradis ne remportent cependant pas l’unanimité… et si cette divergence dans l’appréciation de son dernier roman révélait une imperfection nécessaire au métier d’écrire ?
On lui connaissait déjà ce goût (ou cette prédisposition) pour les personnages taiseux, en proie aux actes plutôt qu’aux mots dont ils sont pourtant entièrement pétris. Au Paradis, celui de cette ferme faite de quatre âmes et un toit, on n’échappe pas à la règle, chacun est économe de ses paroles, car le souffle doit d’abord soutenir le corps, qui assure l’entretien de ce microcosme. Une tragédie sourde lézarde pourtant les murs, celle des parents, morts brutalement dans un accident de voiture. Le drame a laissé à Emilienne, grand-mère et gardienne des lieux, deux enfants orphelins d’un monde et d’eux-mêmes. Blanche et Gabriel. Et puis il y a Louis, homme à tout faire que le sort n’a jamais voulu voir repartir du Paradis. Ici, tout le monde connaît les coups, ceux qui se prennent comme ceux qui se donnent, mais le véritable éclat, celui qui fera imploser ce huis clos de silhouettes sèches et dures, viendra de l’extérieur.
« – Ne fais jamais de mal à un plus petit que toi. Jamais. Ou tu souffriras par un plus fort ».
Malgré le tempérament austère du lieu, l’amour y occupe une place toute particulière, à la fois sauvage et douce. Emilienne, arbre aux racines lourdes et infinies, veille sur tous, soignant les plaies physiques d’une main et recueillant les maux plus intérieurs de l’autre ; elle veille également sur cette terre qui l’a vu naître, croître et se courber. La plume précoce de Cécile Coulon a toujours su conter ce rapport au sol, au milieu qui vous taille aussi sûrement que le caractère. A travers les pages d’Une bête au paradis, elle donne de la voix en une langue farouche et cannibale à cette grange stricte, à ses chemins tordus, à la fosse aux cochons qui suinte de confessions crachées du bout des lèvres.
« Le sang de cochon imprégnait tout. Son odeur enveloppait le Paradis avant que l’autan ne la pousse ailleurs. (…) Pendant trois jours, davantage si le vent ne se levait pas, le Paradis portait les éclaboussures des bêtes mortes ; rien ne servait de frotter, de laver, il suffisait d’attendre et l’odeur partait imprégner une autre terre. »
Alors, bien sûr, l’histoire d’amour entre Blanche, jeune femme en quête de ses désirs, et Alexandre, jeune homme soucieux de s’extirper de sa condition sociale, amène une fois de plus le sujet rebattu de la confrontation entre l’univers de la ville et celui de la campagne. Il est vrai que le personnage d’Alexandre est extrêmement stéréotypé, et qu’il semble un simple figurant là où il devrait être un explosif. Mais.
Le ton de « thriller » que la presse a pleinement octroyé au roman est peut-être galvaudé : car si le coup de théâtre final peut aisément se prévoir, ou plus simplement décevoir, pourquoi avons-nous lu jusque-là ? Ce n’est pas uniquement grâce à l’habileté narrative de l’autrice, à l’ambiance corrosive et maîtrisée de l’intrigue, ou encore aux chapitres brefs et tranchants…
Non, si Une bête au paradis se lit d’une traite, sans laisser indifférent bien qu’en désaccord, c’est parce-qu’il échoue à être ce que l’on attendait de lui (roman de la maturité, thriller, chronique campagnarde…) et qu’il devient un peu plus à chaque lecteur et lectrice ce qu’il peut être : une fable sur la bête humaine chevillée au corps de chacun, en même lieu et place que l’amour et le sang.
« Alors elle abandonna tout, elle fut à lui, à eux deux, il n’était plus temps de se soucier des autres. Seuls comptèrent leurs moments : ces heures, dehors, dans la cuisine, ces morceaux de journée la remplissaient de joie, de fierté, de certitudes. Elle n’avait plus accueilli ces sentiments depuis si longtemps que les sentir si fortement dans sa vie, dans son âme et dans sa chair lui donnait une confiance absolue en l’avenir. »
Et si l’on peut regretter un manichéisme latent, un personnage peu crédible et quelques scènes téléphonées, l’on peut saluer ces imperfections sans doute indispensables à la découverte du versant indompté du roman : celui rythmé par une écriture-battements de cœur qui n’a pas fini de confier ses âpres ardeurs de papier.
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Une bête au Paradis de Cécile Coulon
Paru chez L’Iconoclaste, Août 2019