[dropcap]J[/dropcap]e me souviens vaguement de la première fois où j’ai eu la chance d’appuyer sur les touches d’un piano. J’avais à peine 5 ans et mon cours de solfège venait de s’achever, laissant place à l’apprentissage de l’instrument. Dix années suivirent sous les instructions de Sœur Alice, religieuse qui, dans ma mémoire, portait toujours des mitaines. Adolescent, j’ai sans doute été blasé par la rigueur des leçons, abandonnant l’invention de Bartolomeo Cristofori pour des aspirations supposées plus attrayantes et moins datées.
Aujourd’hui, c’est avec admiration que j’écoute les virtuoses venant apporter, aux auditeurs que nous sommes, leur amour du son et des sensations. Une fois n’est pas coutume, je délaisse le principe de la focalisation vis-à-vis d’une seule œuvre pour me pencher sur un florilège de coups de cœur récents. Le fil conducteur étant, en l’occurrence, l’intégration des albums visés au sein d’une riche scène internationale néo-classique. Au cœur de cette mouvance, le piano y retrouve toute sa noble place.
Je vous invite donc pour une escapade musicale qui ira de l’Italie à la Suède en passant par l’Allemagne et la Bretagne. Quatre artistes pour autant de raisons de succomber aux charmes des cordes frappées.
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Andrea Viscardi – Phono
30/04/2021 – Phono Klavier Limited
Andrea Viscardi vient de signer sur le label récemment fondé par le compositeur japonais Akira Kosemura. Vous allez sans nul doute vous délecter à l’écoute de ce très plaisant EP intitulé Phono sur lequel cinq titres nous embarquent au cœur d’un voyage léger. Les pièces qui s’inscrivent sur la partition offrent une impression de suspension temporelle, la fluidité d’exécution conférant la résonance apaisante qui soupèse un flux de caresses auditives bienfaitrices. Dans ses propres notes, l’artiste italien décrit le titre Diaries de la sorte : « une pièce qui s’adresse aux personnes qui aiment se laisser emporter par la cadence de leurs pensées intérieures ». Belle et juste évocation de ce qui attend les curieux qui prendront le temps de profiter de l’instant pacifié.
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Nils frahm – Gaz
29/03/2021 – Erased Tapes
Dans un registre voisin (bien que non habituellement aussi épuré chez cet habitué des combinaisons électroniques ambient) l’incontournable Nils Frahm nous convie à l’enregistrement inédit d’un travail effectué en 2009 à Mumuth, université de musique et des arts de Graz. C’est d’ailleurs l’appellation octroyée pour ce recueil dévoilé à l’occasion du tout dernier « Piano Day » dont il est l’instigateur. Les fans y retrouveront les harmonies fines du prodige allemand, les progressions répétées qui conduisent à une forme de transe, la sensation d’assister au dialogue chuchoté d’individus empreints de 1000 grâces. Cette liberté de ton est finement travaillée jusque dans ses arcanes, touchant véritablement en plein cœur, telle l’extraction du réel vers l’irréel (et/ou inversement). Graz est le repère d’une genèse habitée par le souffle précoce qui conduira son concepteur aux trajectoires assemblées que nous connaissons si bien. Terriblement enivrantes et d’une profondeur le plus souvent grisâtre.
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Ô Lake – Gerry
4/06/2021 – Patchrock & Night-Night Records
Direction Rennes avec cet étonnant projet concocté par Sylvain Texier officiant sous le pseudonyme artistique Ô Lake. L’intéressé nous présente ici une musique inspirée viscéralement par le film Gerry du réalisateur Gus Van Sant. L’idée génératrice repose à la lueur d’une intrigante composition exposée lors d’un ciné-concert programmé à l’occasion du festival Travelling. La singulière bande son mêle à sa trame pianistique les textures synthétiques sur lesquelles s’impose une osmose des plus sensibles. Le résultat est inspiré, élogieux, tendant à une élévation poussée à son paroxysme. Outre l’instrument de prédilection (dont il est question en ces quelques lignes) nous retrouvons quelques discrets soutiens de cordes qui, assimilés aux effets de nappage, nous immergent au cœur de la pellicule et, plus précisément, dans les rouages du drame qui se noue malgré l’indicible beauté de l’illustration. Résolument moderne et flatteur !
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Mårten Landström – Alan Hovhaness Folkish Piano Works
4/06/2021 – Jivvär Records
La dernière sensation de mon propos est celle qui ressort des travaux du maestro Alan Hovhaness, magnifiés par le talent du concertiste suédois Mårten Landström. L’évocation de ce dernier nous renvoie au folklore arménien, racine du compositeur précité, adepte d’un brillant sens de la mesure. Les mouvements sont souvent courts mais font mouche, s’enchainant avec une véritable dextérité, d’un rythme souple mais franc. Influencé par une musique imagée (l’adaptation de La Flute Enchantée par Ingmar Bergman fut un déclic pour le jeune élève qu’il fut) Mårten Landström redouble d’éloquence, laissant place à des humeurs plus imprégnées pour ne pas dire plus sombres. En ce sens, la fin de son étalage, en proie à de vives recherches sonores, nous cloue le bec par tant d’audaces démontrées. Là encore, impossible de ne pas déceler un acharnement à rendre la musique classique sous les travers d’une vibration plus que jamais vivante. Illustration accomplie d’un passage de témoin, une adaptation permanente qui s’accommode des évolutions avec un brio assuré.
Image bandeau : Nils Frahm par Sebastian Rieck