Il s’agit de la première grande exposition dans un musée français consacrée au travail de Walid Raad. Deux projets distincts sont présentés dans les espaces supérieurs du Carré d’Art de Nîmes. Le premier projet The Atlas Group 1989-2004 se concentre sur l’histoire des guerres au Liban et le second Scratching On Things That I Could Disavow sur l’histoire de l’art dans le monde arabe et l’émergence d’une nouvelle économie liée à l’art dans les pays du Moyen-Orient. Walid Raad utilise la vidéo, la photographie, les montages photographiques et les textes pour produire des récits et des images qui naviguent entre fiction et réalité. L’ensemble de son œuvre propose une réflexion sur le document et la mémoire et remet en question la « construction » de l’Histoire.
Le musée du Carré d’Art de Nîmes conçu par l’architecte Norman Foster fait face à l’un des fleurons antiques de la ville, La Maison Carrée. Ce temple dédié à Caius et Lucius Caesar a été élevé au début de notre ère. Caius et Lucius étaient respectivement petit fils et fils adoptif d’Auguste, premier empereur romain, surtout connu comme étant le restaurateur de la paix après les guerres civiles qui ont suivis l’assassinat de son grand oncle et père adoptif, Jules César.
Cette digression préliminaire m’est venue à la découverte du travail de Walid Raad présenté au Carré d’Art de Nîmes. En effet, cet artiste, né en 1967 au Liban, a organisé une grande partie de son travail autour des représentations que l’on « fait » d’un pays en guerre. Walid Raad a vécu de l’intérieur une guerre, celle du Liban, guerre civile débutée au milieu des années 70 et s’achevant une quinzaine d’années plus tard après de multiples interventions étrangères. Ces 2 aspects (guerre et intervention extérieure) alimentent ainsi les productions proposées dans les 2 espaces du dernier étage du Carré d’Art.
La partie droite de l’étage réservé à Walid Raad est une rétrospective de son projet nommé The Atlas Group débuté en 1999. L’Atlas Group tel qu’il se définit est « un projet dédié à la recherche et la compilation de documents sur l’histoire contemporaine libanaise. L’Atlas Group produit, localise, conserve et étudie des documents visuels, sonores, textuels et autres, qui mettent en lumière l’histoire actuelle du Liban. » Cette institution collecte et archive tous les documents ayant trait à la guerre du Liban. Mais les matériaux sont fabriqués par l’artiste, les récits sont imaginaires et les intervenants ou personnages tous fictifs.
Qu’est ce qui est de l’ordre de la création, qu’est ce qui relève du document ?
Un « document » est réalisé/produit/fabriqué par un ou plusieurs auteurs. Il est produit par cadrage, coupage et montage : on le pense ou on l’aimerait objectif mais il n’est que le produit d’une suite d’opérations humaines. Il n’y a entre lui et une œuvre artistique affirmant sa subjectivité et sa singularité qu’une différence de présentation mais pas de différence de nature. Ainsi le spectateur déambulant dans cette première partie de l’exposition est plongé dans une confusion entre la fiction et le documentaire.
Walid Raad raconte par exemple sous un titre étrange et humoristique Soyons honnêtes, la météo a aidé (Let’s Be Honest, The Weather Helped, 2006) qu’il ramassait dans les rues de Beyrouth les douilles des balles et explosifs quand il était adolescent. Chaque pays possédant un code couleur permettant d’identifier les munitions Walid Raad présente dans une salle des photographies tirées d’un carnet qu’il aurait constitué à l’époque. Les photographies sont des murs de la ville criblés de balles et chaque impact est recouvert d’une pastille de couleur constituant ainsi une sorte de cartographie d’une ville en ruine où sont révélés et mis en avant les pays vendeurs d’armes. Belle idée mais pure récit fictionnel.
D’autres images obtenues par montage photographique sont présentées dans une autre salle sous le titre We are fair people. We never speak well of one another. Dans les photographies prises par son oncle dans les années 50 (réalité) Walid Raad fait apparaître (montage photographique) des corps victimes d’attentats. Le paysage idyllique des années 50 devient ainsi une scène de crime avec l’idée que la guerre était déjà potentiellement là à l’époque par la présence de répartitions territoriales et rivalités confessionnelles.
On retrouve, dans la 2ème partie de l’exposition, Scratching on Things I could Disavow (Continuer à gratter des choses que je pourrais désavouer) des éléments créés et présentés au musée du Louvre à l’occasion de la carte blanche qui avait été offerte à Walid Raad, au moment de l’ouverture des espaces du département des Arts de l’Islam.
Trois salles successives remplies de représentations froides et mutiques, minimales et sobres à l’image de la complexité conceptuelle de l’oeuvre de Walid Raad.
Sont présentées par exemple 2 vidéos qui rendent compte des métamorphoses imaginées par Walid Raad des objets faisant partie de la collection d’art islamique du Louvre qui rejoindront les collections du musée du Louvre d’Abu Dhabi. Dans les vidéos les objets se dématérialisent peu à peu jusqu’à ne plus être que des spectres flous de couleurs primaires puis ils réapparaissent peu à peu sous une forme différente, hybride, les objets ayant fusionnés les uns avec les autres. Au mur sont exposés les 6 objets en question réalisés grâce à une imprimante 3D. Walid Raad explique que « pour se protéger de l’instrumentalisation qui en est faite, les objets se réfugient dans d’autres formes qu’il nous est difficile à saisir ».
Dans une autre salle Walid Raad explore « le retrait immatériel de l’oeuvre », il s’intéresse aux reflets des œuvres sur le sol des musées, aux ombres portées par les cadres avec toujours cette idée de retrait temporaire de l’oeuvre, ces images de reflets et d’ombres de cadres créés par Raad rencontrent les espaces institutionnels que sont les musées représentés par des images de salles de sol en marquetterie du Louvre, du Metropolitan ou du MoMa de New York, ceci rappelant par ailleurs que pour édifier les musées des Emirats il a été fait appel à des architectes occidentaux qui n’ont fait que dupliquer les modèles connus.
Pour peu qu’on y prenne le temps et qu’on ne se laisse pas impressionner par la présentation froide et hermétique de l’oeuvre de Walid Raad chaque salle de cette exposition en 2 parties est susceptible de faire émerger des réflexions sur la création, la présentation et la représentation d’une œuvre, d’un document, d’une archive, qui ne se font jamais en dehors d’un contexte politique et économique précis.
Patience et vigilance … ce que vous voyez n’est peut être pas ce que vous avez vu.