Si l’on en croit la courte biographie disponible sur le site dédié à Dexter Palmer, celui-ci est titulaire d’un doctorat en littérature de langue anglaise et a travaillé sur l’œuvre de James Joyce, Thomas Pynchon et William Gaddis – rien que ça…
Dès les premières pages du Rêve du mouvement perpétuel, l’influence de ce qui a été nommé « post-modernisme » semble évidente et le lecteur réalise immédiatement qu’il vient d’entrer dans un roman de très haute facture, du genre de ceux qu’on n’oublie jamais.
Enfant, Harold Winslow a rencontré Miranda lors de la fête d’anniversaire organisée par son père adoptif, Prospero Taligent, inventeur excentrique disposé à offrir à la petite à peu près tout ce qu’elle souhaitait, à l’exception d’un amour paternel raisonnable. L’histoire débute quelques années plus tard, au moment où Harry, à bord du Chrysalide, aéronef conçu par Taligent et animé du fameux mouvement perpétuel, rédige ses mémoires, refusant de prononcer le moindre mot, malgré les demandes répétées de Miranda, dont la voix le poursuit dans le dirigeable. Il évoque leur amitié, les jeux auxquels ils se sont livrés, le vœu que Prospero lui a promis d’exaucer, l’apparition des hommes mécaniques et des voitures volantes conçues par le savant fou, la tour dans laquelle a été enfermée Miranda, ainsi que sa propre carrière de rédacteur de cartes de vœux et son désir de devenir écrivain.
La construction du roman fait alterner les souvenirs, qui occupent la majeure partie de l’espace narratif, et les allusions à la situation présente, Harold enfermé dans un navire aérien avec une femme qu’il a aimée – ou cru aimer –, qu’il entend mais ne voit pas. Dexter Palmer enchâsse des récits dans le récit, fait parler de multiples personnages, lance discrètement des réflexions sur l’art, la création et le pouvoir du langage, l’obsession de la pureté, la mégalomanie, la filiation, puis bifurque, élude, entraîne le lecteur sur des voies détournées, fabriquant, au fil du livre, une véritable machine à histoires, dans un flux à la fois complexe et limpide, dont il paraît impossible de sortir, comme si l’auteur reproduisait avec nous l’attitude dont a fait preuve Prospero Taligent à l’égard de sa fille adoptive : il nous retient en otage – mais qui oserait s’en plaindre ?
Davantage que de Pynchon ou Gaddis, c’est de David Foster Wallace dont Dexter Palmer semble le plus proche. Son premier roman est incroyablement inventif, intelligent, mélancolique et plein d’humour, en mouvement jusqu’à la dernière page, mêlant habilement les éléments du conte (une reine vierge et un monstre), de la science-fiction (des machines omniprésentes qui remplacent progressivement les êtres humains), du thriller et du roman d’initiation, preuve d’un imaginaire extrêmement riche dont j’attends déjà la prochaine production avec impatience. S’il fallait qualifier le livre d’un seul adjectif, ce serait celui-ci : révolutionnaire.
« En cet âge de la machine, les histoires n’ont pas leur place. De nos jours, nous recherchons nos plaisirs en des instants isolés, fixés dans l’ambre, comme si nous n’avions aucun désir de lier l’avenir au passé. Des histoires ? Nous n’avons pas de temps à leur consacrer, nous n’en avons pas la patience. »
Dexter Palmer, Le Rêve du mouvement perpétuel, traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel et Blandine Longre, Éditions Passage du Nord-Ouest, septembre 2014