« Une tempête de sable défait sans douceur ce que la lune avait calmement mis en place et rendu observable. » Ainsi commence presque le récit. Marie est chez elle et observe les déferlantes de vent recouvrir la ville de sable. Le vent « fait chanter les gouttières comme des flûtes, et les bouches de métro vides sont un orgue d’église pour lui », et retire son nom à toute chose. Voici l’événement, le chant premier de ce récit épique en appartement. Car Marie reste chez elle, et le vent lui apporte un homme, qu’elle invite à entrer. Achille. Elle aime Achille comme un frère qui va mourir, de toutes ses forces, de tout son corps. Marie est chez elle, et Achille arrive dans son salon.
Thétis, quant à elle, a choisi de s’installer dans la salle de bains, son royaume des eaux en appartement. Elle veille, derrière la porte, sur son fils et sur Marie qui s’installent au salon pour boire un thé brûlant et se réconforter des temps et des épreuves traversés. Marie fera des allers retours entre salon et salle de bain, dialoguera avec Achille et avec Thétis. S’en suivra ce qu’on pourrait appeler un vaudeville tragique entre ces trois personnages, bientôt rejoints par d’autres, Hector et Pélée bien sûr, pas loin, prêts à prendre place dans cette histoire qui ne peut exister sans eux. Marie revit les grands mouvements de la vie d’Achille à travers les mots, les phrases et les chants. La mort de ses frères, sa plongée dans le fleuve de l’enfer, son armée en direction de Troie, son destin inexorable. Marie, douce et prévenante envers Achille, se fait quelque peu malmener par Thétis qui, enfermée dans la salle de bain, soulève les eaux en raz-de-marée, éructe, entre dans une colère sans nom, son fils derrière cette porte, comment l’atteindre ? Elle usera d’un stratagème, bien sûr, la mère est toujours à la fois la pire ennemie d’un fils, mais aussi celle qui le protégera toujours. Et Marie, au milieu de toute cette scène, en observatrice ou chef d’orchestre, garde son calme mais ne peut empêcher l’inéluctable de cette nuit hallucinatoire.
Le premier roman de Marie Richeux n’est pas, vous l’aurez deviné, ordinaire. Achille est à la fois une relecture, une mise en scène, une appropriation et une déflagration. Ce que la mythologie grecque peut évoquer en nous aujourd’hui, ce qu’elle peut nous apporter et comment elle nous aide à interpréter le monde et, surtout, à faire resurgir la poésie qui nous constitue. Nous savions Marie Richeux obsédée par la phrase évocatrice et le texte à la poésie lumineuse depuis son premier livre, Polaroïds, recueil de textes écrits pour France Culture, radio sur laquelle elle anime quotidiennement l’émission Les Nouvelles vagues (anciennement Pas la peine de crier).
La narratrice d’Achille, si l’on devait lui trouver un point commun avec l’auteur, ce serait son sens de l’écoute, son attention à l’autre, sa faculté de faire parler, de se mettre en retrait pour faire accoucher son interlocuteur d’une vérité, quelle qu’elle soit. Car l’aboutissement semblant toujours inéluctable (la mort d’Achille, la fin d’une émission), ce qui se passe avant est bien plus important. Qui dit quoi, de quels mots sommes-nous faits, que contient notre nom, ce que la langue peut faire pour nous aider à comprendre le monde. Il est beaucoup question de la langue dans Achille, notamment des noms qui sont un monde. « Je prononce ton prénom Achille. Je le fouille à mains nues. Dedans il y a la foule. » Et le lecteur de fouiller à mains nues ce livre fort, envoûtant, évocateur, qui soulèvera en lui une foule de réponses aux questions qu’il ne se posait pas.
Marie Richeux, Achille, Sabine Wespieser, 2015.
Magnifique chronique*