[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]iam a vécu à Londres. Il y a connu une vie morne et un amour qui ne s’est révélé important qu’une fois terminé. De retour dans sa ville natale de Salisbury (ici plutôt qu’ailleurs ? Quelle importance…) il assiste à un violent accident de la route impliquant un automobiliste et une motocycliste. Deux autres personnes assistent à la scène. De cette confluence violente et imprévue entre cinq vies naît l’idée de ce récit.
On dit que cinq rivières se croisent à Salisbury, qu’elles se rencontrent en un unique point. Si ce fut sans doute le cas à une époque où les eaux se mêlaient en un grand marais, l’apparition de la ville a profondément transformé ce paysage anglais. Là où les boues s’apesantissaient, étendue d’eau et de terre mêlées, ne subsiste que les entrelacs de vies chaotiques des habitants. Vies moyennes d’une ville moyenne.
Rita vend des fleurs et du shit. Elle a sérieusement merdé et sa famille ne veut plus la voir. Sam est confronté en pleine adolescence à la disparition d’un proche alors même qu’il découvre l’amour à sa manière, toute en hésitations. George, agriculteur retraité, vient de perdre la femme autour de laquelle il avait construit sa vie. Alison attend en tremblant son mari militaire, esseulée entre sa maison louée et son boulot dans un établissement scolaire. Enfin, Liam, revenu de Londres, joue au vigile et surveille la ville du haut de son site historique.
Il y a dans ce roman une manière de questionner la vie tout à fait particulière, très délicate. Les cinq vies s’entrecroisent au gré de leurs marasmes émotionnels, mais chaque personnage reste enfermé dans sa solitude. Comment s’ouvrir alors qu’on ne sait pas dire ce que l’on ressent ? Comment partager avec l’être parti au loin ? Comment avancer quand on ne sait même pas s’avouer ses sentiments. C’est tout ce que l’on entend dans ce paysage plat, c’est ce que chantent les rivières, et que nous rapporte Barney Norris avec virtuosité, mais sans afféterie : la solitude des habitants de Salisbury sans rien d’exceptionnel.
Vanité de l’existence ? Certes. Un thème que l’on rencontre beaucoup en littérature mais qui, à aucun moment dans ce roman choral ne se teinte de cynisme. De la noirceur, certes, de l’impuissance parfois, mais aussi de subits éclats de bonheur qui suffisent à trouver une raison à poursuivre, à s’ouvrir et, oui, à s’épanouir même. La constatation froide et bouleversante de ses propres impuissances, de son incapacité au monde. Mais si tous les personnages traversent une phase de doutes, certains parviendront à sortir la tête de l’eau, à reprendre pied dans leur existence – au gré d’un hasard ou d’une impulsion salutaire. Et c’est avec une grande finesse, une belle humanité que Norris dévoile les pensées de ses personnages, usant d’un style propre pour chaque voix qui s’interroge et se juge.
Dramaturge reconnu, fondateur d’une compagnie de théâtre, l’auteur nous donne à lire un premier roman touchant, une œuvre sensible servie par des personnages certes pétris de défauts, mais auxquels on s’attache infiniment. Un grand roman de la solitude donc, mais qui sait éviter les poncifs nihilistes ou sensationnalistes, des vies toutes simples qui n’ont pas besoin du sensationnel ou de la débauche pour captiver le lecteur.
Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières de Barney Norris,
traduit par Karine Lalechère publié aux Editions du Seuil, 2017