[dropcap]I[/dropcap]l est des romans qui rassurent et d’autres qui désespèrent sur la marche du monde. Vers la violence se tient sur une fine ligne de crête entre ces deux glissements : il bouscule le lecteur sans pour autant l’affliger ; il soulage malgré la douleur qu’il ne manquera pas de susciter.
Comment Blandine Rinkel est-elle parvenue à cet équilibre ? Peut-être en rappelant à quel point une enfance douloureuse porte en elle les germes de sa survie.
La survie, Lou connait. Elle passe son enfance à marcher sur des œufs pour ne pas dégoupiller la grenade qui régit le foyer. Ce père qui fait traverser à sa fille de 5 ans seule un pont routier, une « jungle de béton et de vent », pour qu’elle apprenne à « être forte sous l’orage ». Ce père qui, alors qu’elle est à peine plus âgée, lui retire un coquillage bien enfoncé dans le pied avec un couteau et un briquet. Ce père avec qui le jeu de la barbichette vire à l’effroi.
C’est que, de Gérard, je n’imagine pas la possibilité de tapettes, mais seulement de tapes, viriles et vraies, de celles que j’ai vu administrer à Ardent, notre chien, et l’idée qu’il puisse m’en mettre une me glace et me terrifie.Blandine Rinkel
Ce roman est donc le récit d’un apprentissage dérangeant. Une éducation par laquelle une enfant apprend à nager dans des courants contraires d’admiration et de peur, un cocktail infernal autour d’un tuteur vicié. Pour la petite fille, cet homme dégage une telle puissance ; c’est un guerrier que rien n’effraie. Un magicien aussi, capable d’inventer des mondes dans lesquels elle s’élève. Jusqu’à ce qu’elle découvre les dessous de ses tours de passe-passe. Jusqu’à ce qu’elle décèle, aussi, que la mythomanie de cet homme provient d’une souffrance infinie.
L’autrice semble guidée par une implacable volonté : celle de disséquer sans gêne, sans retenue, une relation d’amour et de violence dans toute sa complexité. Car oui, Lou aime autant qu’elle craint ce père qui la malmène pour mieux la blinder. En exigeant d’elle une force inouïe, il la conditionne… à s’émanciper. Pas de conflit d’intérêts ici : tout n’est qu’adhésion à son éducation brutale ; tout n’est que loyauté.
Les mots avaient claqués dans l’air de la cuisine comme des gifles. On le sentait tous les trois et je m’étonnais de découvrir que quelques mots – a fortiori les miens – puissent avoir un effet si fulgurant.
Ce roman dégage surtout un magnétisme rare. Un roman auquel on s’attache sans réserve et sans être certain de comprendre le sortilège employé par l’autrice pour autant captiver.
Et puis arrive la seconde partie, qui semble briser un élan jusqu’ici invincible : la narration semble se désagréger. A moins que ce changement de ton ne soit pas tout à fait une cassure mais une continuité ; comme s’il n’était finalement que la conséquence de cette enfance bancale, la seule qu’elle puisse engendrer. Une impression lancinante que le dénouement viendra confirmer.
Blandine Rinkel n’est ni la première, ni certainement la dernière, à s’attaquer aux relations père-fille toxiques, fusionnelles et cinglantes. Mais ce récit a ce quelque chose en plus que l’on appelle intensité. Duo, duel : tout est méchamment intriqué. L’autrice a parfaitement maitrisé son sujet et la direction donnée à son roman. Un roman dont on ressort avec un étrange sentiment de fureur et d’apaisement mêlés.
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Vers la violence de Blandine Rinkel
Editions Fayard, Août 2022
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