[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#10895d »]J[/mks_dropcap]e ne vous ferai pas l’offense de présenter Etienne Daho, non pas que je sois un peu Corse sur les bords mais le Rennais n’a besoin d’aucune présentation, sa longue carrière parsemée de chefs-d’œuvre parlant très bien pour lui. Et puis… d’autres que moi s’en sont chargés il y a très peu de temps. A tel point que, comme dirait un collègue, on en friserait l’overDahose. Le pape de la pop ici, le patron là, voyage au bout de ses nuits ailleurs et des couvertures à n’en plus finir pour la presse écrite. Et je ne parle pas de la télé (TF1, France 2, Canal, etc.), ou de la radio (France Inter, RFI, RTL, etc.), impossible d’y échapper. C’est simple, le 17 novembre dernier, Daho était partout, dans nos villes, dans nos campagnes, sur les réseaux sociaux pour nous présenter Blitz, son meilleur album de l’univers qu’il a jamais fait mieux en dix disques avant. Bref, devant cet encensement infini, cette admiration médiatique sans bornes (qui finirait par rendre méfiant n’importe quel quidam appréciant le bonhomme), on en arrive presque à se dire que Daho serait le Hallyday des rocks critiques, une icône devenue quasi intouchable condamnée à ne sortir que d’excellents disques. Ce qui, bien évidemment, n’est pas le cas, l’homme a ses failles. Et, à en voir les réactions des fans de la première heure, ce n’est pas Blitz qui va me contredire. Disons-le tout net, son dernier disque est certainement le plus clivant de sa carrière. Ceux qui suivent le Rennais depuis ses débuts vous le diront : Daho ne s’est véritablement planté qu’une seule fois, avec Réévolution. Et encore, planté est un bien grand mot parce qu’avec lui, même en étant décevant, en publiant un disque tiède et un peu bancal, il parvient toujours à sortir de grands morceaux de sa poche (Retour A Toi notamment).

[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#10895d »]I[/mks_dropcap]ci en revanche, la tiédeur est un substantif à proscrire, parce que Blitz entraîne des réactions assez extrêmes, allant du rejet pur et simple à l’admiration. Certains voient en lui son disque le plus audacieux, d’autres le premier véritable accroc d’un parcours quasi sans faute, allant même jusqu’à affirmer avec aplomb que l’album est raté de bout en bout. Au regard de sa carrière on ne peut pas leur donner tout à fait tort. Si on se base sur le fait que Daho, depuis Eden, a toujours cultivé une sorte d’intimité musicale avec ses auditeurs, que ses plus grands albums sont ceux où il se confie le plus, et parfois de façon bouleversante (Boulevard des Capucines sur L’invitation), que chaque confession se fait sur un lit musical soyeux (Le Brasier, Ouverture, La Baie pour Corps et Ârmes, L’adorer, Cap Falcon sur L’invitation, L’homme qui Marche sur Les Chansons de l’Innocence Retrouvée), que Daho, enfin, est un peintre des sentiments d’une élégance rare (Ce Merveilleux Été sur L’invitation, à la fois doux et d’une cruauté sans nom) alors oui, Blitz est décevant. Très. Parce que, si on pousse la métaphore plus loin encore, là où ses précédents albums utilisaient le pastel musical pour adoucir ou souligner des propos parfois très forts, Blitz en revanche n’hésite pas à faire l’inverse, à utiliser une tonalité crue sur des propos bien plus légers en apparence. Cela passera par l’utilisation de guitares plus acérées, trempées dans les acides des 60’s (Lucifer Sam du Floyd sur Les Filles Du Canyon, House Of The Rising Sun des Animals sur Nocturne), tournoyantes comme jamais sur Les Filles, sauvages et tendues sur Le Jardin ou camées comme rarement sur Les Baisers Rouges. Cela passera également par des synthés vintages, psychés (ancrant Blitz dans une époque où régnait l’insouciance, la légèreté, l’innovation), ainsi que des paroles moins travaillées, plus spontanées peut-être, déstabilisant par conséquent l’auditeur qui trouvera en Blitz un disque d’une rare inconsistance.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#10895d »]P[/mks_dropcap]ourtant, inconsistant, il ne l’est assurément pas, au contraire. Parce qu’ici Daho sort d’une certaine zone de confort, qui lui allait comme un gant depuis Eden, et retrouve l’état d’esprit qui l’animait à la sortie de Pop Satori ou Paris Ailleurs, appliquant à la lettre ce qu’il écrivait sur Epaule Tattoo : Audace, un des sens exigés. Pour ce faire, il va logiquement prolonger l’orientation prise avec le morceau Les Chansons de L’innocence Retrouvée, à savoir l’hédonisme, la légèreté tout en le conjuguant à une action inhabituelle chez lui : se mettre en retrait en noyant sa voix sous une couche d’instruments. Bon, pour ses détracteurs, ça ne changera pas grand chose mais pour ses admirateurs en revanche, c’est une petite révolution en soi (d’autant plus que son précédent album le voyait faire l’inverse).
Maintenant, revenons sur l’inconsistance supposée de Blitz. A défaut d’inconsistance, peut-être pourrait-on parler d’une immaturité musicale assumée, d’un disque où Daho redevient adolescent, se lâche complètement et expose à tous son amour de la culture américaine des 60’s et au-delà. Chacun le sait, le Rennais n’a jamais caché son éclectisme et encore moins son amour pour le Velvet, la soul de chez Motown ou encore la bossa-nova, il a toujours laissé dans ses disques suffisamment d’indices pour que nous puissions le deviner. Là, il passe à la vitesse supérieure en faisant de Blitz un long trip psyché pour lequel, sympa comme gars, il prévient l’auditeur dès le début des Filles du Canyon : « Tu trouveras ici un autre paradis, un autre monde ». Et, de fait, avec Blitz, celui-ci entre dans une autre dimension, effleurée sur Pop Satori, où tout est affaire de sens, invoquant dans le texte l’esprit de Ginsberg ou Burroughs et musicalement le Floyd. Un trip ayant pour but cette impression de légèreté que peut procurer la prise d’un acide, où tous les sens sont en émoi. Quelques exemples ? Outre Les Filles du Canyon, Chambre 29 renvoie à Syd Barrett, Le Jardin, si on peut l’interpréter comme un hommage à sa sœur disparue, peut également faire référence à l’explosion des sens lors d’un trip, ce qui par la même occasion justifierait les giclées de guitares et l’utilisation d’un orgue bien camé piqué au White Light White Heat du Velvet. Idem pour Les Baisers Rouges, avec son pont sous morphine et cette impression d’entendre le chant d’une sirène dépravée, qui sera repris sur l’introduction de la chanson suivante. A vrai dire, toute la première partie de Blitz ressemble à un manifeste pro-toxiques, décrivant métaphoriquement les différents effets procurés par l’ingestion d’acides et autres drogues, de la sensation de speed (Les Filles du Canyon), en passant par l’exacerbation des sentiments ou encore l’hypervigilance pour terminer par la descente (Les Cordages de la Nuit et cette impression d’être dans un cocon sonore où rien ne peut vous atteindre), jusqu’à l’apaisement (Les Flocons de l’Été).
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#10895d »]S[/mks_dropcap]auf que, sous cet hédonisme de surface, se cache un des albums les plus mélancoliques de Daho. Bien sûr, si vous y jetez une oreille distraite, rien ne laisse présager le caractère morbide du disque, Daho tente à nouveau de faire un album rock (la première fois c’était sans fioritures et de manière frontale avec Réévolution) et là il y revient via le garage/psyché des sixties. Mais si vous écoutez Blitz attentivement, c’est probablement la première fois que Daho ne parle pas de lui-même à travers sa relation aux autres. La première fois qu’il parle de son rapport à la mort, qu’autant de fantômes sont invoqués dans un de ses disques (Outre Barrett sur les deux premiers morceaux, c’est Lou Reed qui vient hanter ce disque à de nombreuses reprises sur Les Flocons de l’Été avec le troisième Velvet ou Sister Ray sur Le Jardin, Gainsbourg également sur Voodoo Voodoo ou L’étincelle, évoquant aussi John Barry et même Otis Redding jammant avec les Animals sur le très mélancolique Nocturne). En poussant l’interprétation assez loin, Blitz pourrait presque se lire/s’écouter comme un concept-album sur la perte. De soi dans un premier temps, et pouvant aller jusqu’à la dépersonnalisation («tout est blanc/tout givré/survivant/tout flingué » écrit-il sur Les Flocons de l’Été) et surtout des autres, rejoignant Babx et son Ascensions à propos des récents événements survenus en France pendant l’enregistrement et qui ont clairement impacté l’album. Sur sa seconde partie donc, Blitz semble vouloir démonter les mécanismes qui ont mené à cette folie en adoptant de façon très métaphorique le point de vue des victimes comme des meurtriers (De Voodoo Voodoo à Nocturne, Daho laisse suffisamment d’indices à travers ses textes pour que nous puissions le comprendre) et les conséquences irréversibles de tels actes. Mais là où Babx évoquait ces événements de façon grave et poétique, Daho préfère les traiter, étonnamment, avec une certaine légèreté, renvoyant à la fameuse citation du Hagakure: il faut traiter les choses légères avec sérieux et les choses sérieuses avec légèreté. Et de fait, toute cette ambivalence se retrouve sur Blitz, autant d’un point de vue textuel que musical. D’où une partie légère, insouciante, psyché, quasi pop, avec des chansons assez courtes aux refrains identifiables dès la première écoute (un peu faciles parfois, n’est-ce pas Chambre 29 ?), faites de guitares volubiles tantôt incisives/explosives tantôt acoustiques et camées (particulièrement remarquables sur Les Baisers Rouges même si elles ne sont pas acoustiques), de synthés vintages sous acides (moog, hammond, korg et j’en passe) et bénéficiant d’une production dingue, à la fois limpide et complexe, fonctionnant par strates, fourmillant de détails.

[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#10895d »]L[/mks_dropcap]’autre en revanche est sombre et plus ambitieuse encore. Daho délaisse l’aspect pop, abordable de sa musique et plonge direct dans un rock crade (les guitares n’ont jamais sonné aussi salement sensuelles chez lui que sur Voodoo Voodoo, morceau pourtant le plus faible du disque), sinueux et malsain (The Deep End, renvoyant au premier Velvet via Psychic Ills ou Mazzy Star) ou vers une pop nettement plus ambitieuse : Vannier ou John Barry dans le rétro sur L’étincelle ou encore Brian Wilson présent partout sur le génial Après le Blitz, symphonie toute en crescendo, sorte de Bad Vibrations personnel au groove absolument imparable sur sa seconde partie et au final expérimental dérivant vers le fantomatique, préparant surtout au spectral et mélancolique Nocturne, une de ses plus belles chansons à ce jour.
Maintenant, cela reste une interprétation de votre chroniqueur, chacun peut très bien voir en Blitz un disque sur le plaisir sous toutes ses formes, la sexualité, parfois crue, à l’image du visuel qui l’accompagne. Un Daho en cuir, Fassbinderien à mort, renvoyant à l’imagerie du Portier de Nuit de Cavani (la pochette intérieure, très bondage), à la fois SM et gay (est-ce vraiment de la fumée qui lui éclabousse le haut du visage ?), bravant, comme un ado en pleine rébellion, les interdits actuels (notamment à propos de la clope, à l’heure où notre gouvernement réfléchit à comment virer la moindre cigarette sur grand écran). Idem pour le lettrage de Blitz à l’arrière du disque, avec ce « L » long et oblique, à la limite du priapisme serait-on presque tenté de dire, nous interrogeant sur un possible coming out du Rennais (après, on s’en fout, là n’est pas le sujet), possiblement évoqué sur le très beau Hôtel Des Infidèles.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#10895d »]N[/mks_dropcap]éanmoins, c’est peut-être la première fois chez Daho qu’un de ses disques présente une telle profondeur de lecture, une telle ambiguïté. Habituellement chacun d’eux se veut le reflet de son état d’esprit, sorte de journal intime allant du radieux (Eden, Les Chansons de l’Innocence Retrouvée, Corps et Ârmes) au triste (L’invitation, Pour nos Vies Martiennes) et faisant de lui un équivalent musical d’Hergé, adoptant une certaine ligne claire. Avec Blitz, il écorne son image, bouscule sa musique, bref il envoie simplement tout valser dans un geste radical qui peine à masquer, sous des atours légers, volages, une mélancolie bien plus présente que sur n’importe quel autre de ses albums et dans lequel les fantômes l’habitent plus que jamais, les autres comme les siens. En effet, Blitz renvoie constamment vers d’autres titres de sa carrière (le refrain de Chambre 29 évoque Paris Ailleurs, L’étincelle, L’adorer ou encore Le Brasier, Hôtel des Infidèles, Le Condamné à Mort) de sorte qu’ici nous avons par moment l’impression d’écouter un disque à la fois innovant de la part de son auteur et terriblement nostalgique.
« Nous allons voyager léger » écrit-il en toute fin de Blitz. Possible, mais le cœur lourd alors.
En somme, après l’avoir souvent pratiqué dans ses textes, Daho vient de réaliser ici son premier oxymore musical : un disque dense et profond sous des allures futiles. C’est assez déstabilisant (car nouveau) à la première écoute mais une fois l’effet de surprise passé, Blitz s’avère être son meilleur album depuis L’invitation et son plus innovant depuis Pop Satori. Au bout d’une carrière de près de quatre décennies, ce n’est pas un mince exploit.
Sorti depuis le 17 novembre dernier chez Virgin et disponible chez tous les disquaires et grandes enseignes de France n’ayant pas peur des paradoxes.
Blitz est un disque assez mineur selon moi dans l’oeuvre du rennais. En voulant rendre hommage à ses modèles, Daho perd de sa spécificité et de sa contemporanité. Un album exercice de style qui manque de grâce et d’inspiration.