[dropcap]R[/dropcap]emarqué dès 2017 avec la parution de Les animaux (Albin Michel – Terres d’Amérique), Christian Kiefer revient en force avec ces Fantômes qui confirment haut la main les espoirs que l’on avait placés en lui.
À travers le destin de Ray Takahashi, américain d’origine japonaise, Fantômes éclaire un pan méconnu de l’histoire des États-Unis. Lorsque le jeune homme rentre à Newcastle, Californie, après avoir servi son pays durant la seconde guerre mondiale, aucun membre de sa famille n’est là pour l’accueillir. Pire, son ancienne voisine lui interdit de remettre les pieds sur le terrain où il a grandi. Vingt quatre ans plus tard, c’est John Frazier, un autre vétéran, qui, de retour du Vietnam, va tenter de se reconstruire par l’écriture. Lorsque sa tante, perdue de vue depuis des années, fait irruption dans sa vie, John va prendre connaissance du destin de Ray et tenter de le restituer en redécouvrant l’histoire de sa propre famille.
Comme il lui semblait étrange, ce monde qu’il retrouvait – à croire qu’en se battant pour l’Amérique, il avait mis en pleine lumière des facettes de ce pays que l’on avait préféré occulter. »Christian Kiefer
Si les dizaines de milliers de japonais vivant aux États-Unis avaient peu à peu réussi à se faire une place au sein de la société américaine, l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941 va ruiner en quelques heures des années d’efforts. Avec le manque de nuance qui caractérise les crispations entre peuples, les américains auront vite fait de stigmatiser ceux qui avaient finir par devenir leurs voisins, voire leurs amis. Appuyée dans ce changement radical par le FBI et une administration qui finira par déclarer en janvier 1942 que « les japonais ethniques sont totalement inassimilables », la population américaine verra avec satisfaction les autorités arrêter et déporter les japonais accusés restés fidèles à leur Empereur. Plus d’une dizaine de camps d’internement virent ainsi le jour, dont celui de Tule Lake, où la famille de Ray Takahashi fut transportée et qui comptait plus de 19000 internés.
« Sans en tenir tous les tenants et les aboutissants, je comprenais cependant que ma tante rechigne à révéler les raisons précises de sa venue, car je connaissais mieux que quiconque le potentiel de terreur démesuré que renferme la vérité. »
Christian Kiefer
Si Fantômes tire sa force de cet épisode historique peu glorieux, Christian Kiefer met le doigt où ça fait mal et le personnage de John Frazier lui permet une mise en abyme qui amplifie la portée de son propos. En effet, si le jeune Ray Takahashi perd tous ses repères à son retour du front français, Frazier, lui, est tout aussi perturbé par ce qu’il a connu au Vietnam et peine également à retrouver une place au sein de cette société qu’il est parti défendre.
Kiefer ne se contente donc pas de dénoncer le sort réservé aux japonais dans les années 40 et l’écho des destins de Ray et John pointe plus largement la difficulté pour des soldats de revenir à une vie normale. Même si ce sujet à été abordé à maintes reprises dans la littérature, Fantômes se montre particulièrement touchant lorsque les recherches de John et les aveux tardifs de sa tante concernant les liens entre la famille Takahashi et les Wilson.
Mêlant avec finesse et sensibilité destins individuels et histoire collective, Christian Kiefer offre un roman particulièrement abouti dont l’histoire résonne encore à l’heure où le mouvement Black Lives Matter met en lumière les tensions raciales qui subsistent au pays de l’Oncle Sam.
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Fantômes de Christian Kiefer
Traduit par Marina Boraso
Albin Michel – Terres d’Amérique, Mars 2021
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Image bandeau : Photo by Tim Mossholder on Unsplash
On est d’accord, un livre magnifique et je crois que j’ai employé le même terme que toi : abouti. Belel chronique
Merci Simone (et il me semble qu’on est assez souvent d’accord) !