[dropcap]D[/dropcap]ire d’Emmanuelle Parrenin qu’elle est une des figures françaises cultes de ces cinquante dernières est un doux euphémisme. Un peu à l’image d’une Sibylle Baier ou d’une Vashti Bunyan, elle a traversé le paysage musical des 70’s en ne publiant qu’un seul disque sous son propre nom, Maison Rose, mais en laissant une empreinte quasi indélébile sur tous ceux qui ont eu la chance de l’acquérir.
Dire ensuite que le démiurge qui a façonné son destin est aussi sadique que bienveillant est également un doux euphémisme. Née dans une famille où la musique compte autant que le fait de respirer, elle sillonne les routes de France et du Canada pour collecter, plusieurs années durant, magnétophone à l’épaule, les airs et chants traditionnels, tout en remettant au goût du jour les instruments tombés dans l’oubli (la vielle ou l’épinette). Elle appose sa patte sur plusieurs disques avant d’enregistrer sous son propre nom Maison Rose en 1978. Jusque là, vous me direz, tout est normal.
En 1990, un accident de voiture la laisse sourde. La médecine n’y pouvant rien, elle se rééduque elle-même par le son de sa voix et la résonance de ses instruments. Elle créé ainsi la maïeuphonie, technique qui lui permettra de retrouver quelques années plus tard l’ouïe, et l’appliquera auprès des patients de secteur psy via la musicothérapie.
[dropcap]C[/dropcap]’est sous la bannière soignante qu’elle repart ensuite sur les routes de France et de Navarre afin de collecter différents sons thérapeutiques et qu’elle reprend en parallèle sa carrière de musicienne. En 1997, elle crée un spectacle pour enfants, Belle et Lurette. En 2011 elle publie son second album, Maison Cube et crée dans la foulée le spectacle D’une maison l’autre au Lieu Unique à Nantes. Depuis, si elle ne produit pas de musique sous son nom (même si en 2017 sort chez Souffle Continu Pérélandra, enregistrements d’inédits du début des 80’s), elle multiplie en revanche les rencontres et les collaborations avec de jeunes musiciens/producteurs (Etienne Jaumet, Gaspard Claus, entre autres) et sort, l’an dernier chez Versatile, l’excellent Jours De Grève avec Dietlef Wienrich. En 2020 elle commence à mettre en forme ce qui deviendra son prochain disque, Targala, la maison qui n’en est pas une, lors d’un festival qui devait avoir lieu au Maroc mais annulé pour cause de Covid-19. Elle reste un mois en quarantaine dans le désert, seule européenne parmi la population locale tout en craignant de redevenir sourde suite à une tempête de sable et, comme à chaque fois, collecte les sons qui lui serviront pour ses prochaines créations musicales.
C’est donc dans ce contexte très particulier qu’est conçu Targala, nouvel album voué à devenir aussi culte que Maison Rose. Non pas en raison de sa confidentialité mais du fait de son excellence. Qui vous saute aux oreilles dès l’introduction, d’une rare luxuriance : un bâti électronique, semblant prendre sa source en Afrique, une voix incantatoire, étonnamment cristalline, un saxo doux, vont former un morceau expérimental aqueux, limpide, chaleureux, réinventant votre quotidien, sublimant votre pièce d’écoute aux couleurs d’un ailleurs fantasmé (l’Afrique ? l’Amazonie ? qui sait ?). Et dessiner les contours de cette étrange maison que sera Targala. Étrange ou, plutôt, hors norme : un bâtiment hors d’âge, composé de douze pièces disparates, chacune ayant son propre univers, à la structure étonnamment solide. Douze pièces foisonnantes, terreau idéal pour l’expérimentation, où s’observent, se mêlent et s’assimilent différents courants musicaux (jazz, world, ambient, folk, chanson française, pop), instruments traditionnels tombés dans l’oubli (dulcimer, vielle) et technologies nouvelles, chants éthérés et instrumentaux. Douze pièces qui, dès lors que vous franchissez le seuil de la porte, se distendent, s’agrandissent et vous transportent, à chaque nouveau pas, dans une faune et une flore d’une richesse extraordinaire.
[dropcap]C[/dropcap]ar, avant tout, Targala est une balade sonore, une invitation au voyage. À travers le temps, convoquant plus qu’à son tour l’enfance (des onomatopées de La Rêvelinière aux allitérations de Puise), usant d’aller-retour dans sa propre mythologie (Entre Moi par exemple, qui évoque le folk de Maison Rose), d’une intemporalité sidérante (ce chant, d’une éternelle jeunesse), réhabilitant de vieux instruments de façon à lui conférer un caractère quasi ethnologique et ouvrant par la même occasion une spatialité immense. Emmanuelle Parrenin peut autant vous entraîner dans des contrées sub-sahariennes que dans le fin fond des territoires ruraux, la jungle amazonienne que les verts paysages irlandais.
En fait, entre ses doigts de fée, Targala s’avère être une aire de jeux incroyable. Tout matériau devient façonnable à l’envi et débouche, à chaque fois, sur une merveille d’équilibre : les sonorités stridentes, quasi métalliques de Dulcimer, s’intègrent à merveille à l’onirisme de Delyade, le folk, aux expérimentations flirtant avec le dub (Duende), les légendes, farfadets et autres personnages féériques côtoient le céleste. Ici tout est question d’harmonie. Et Emmanuelle Parrenin, en grande prêtresse, parvient à unifier ce qui pourrait sembler inconciliable : les générations, l’organique et l’électronique (certes, bien d’autres musiciens l’ont fait et réussi avant elle, mais le travail de Colin Johnco aux samples, apporte une telle clarté à l’ensemble, que toute la complexité des arrangements en devient naturelle, fluide), l’intime (avec cette sensation parfois qu’elle vous chuchote ses comptines au creux de l’oreille) et l’universel, l’enchantement et l’agacement (l’auditeur peut parfois être rétif à ces chansons d’un autre âge, aux accents quasi médiévaux).
En une quarantaine de minutes elle parvient à créer un disque inépuisable, tant par son apparente simplicité que sa véritable profondeur, et clôt de façon remarquable une trilogie non pas en rasant toutes les fondations mais simplement en ouvrant la porte vers de nouveaux horizons.
Si Maison Rose et Maison Cube étaient déjà cultes, il y a de fortes chances que Targala, leur étant supérieur, connaisse le même destin. L’anonymat en moins néanmoins.
Targala, La maison qui n’en est pas une – Emmanuelle Parrenin
Johnkôôl Records – 18 mars 2022
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Crédit photo : Frederic.D.Oberland