Les Etats-Unis ont eu leur famille royale. C’était les Kennedy. JFK avec l’histoire la distance et la légende devint une sorte de héros à l’armure étincelante. Le père Joe avait fait fortune dans les années 20, sans trop de scrupules, notamment lié à des mafieux peu recommandables pendant la prohibition, sentant la crise de 29 avant tout le monde et épousant la fille d’une grande famille de Boston. Il s’opposa longtemps à l’entrée en guerre des Etats-Unis, eu des accointances idéologiques qui le discréditèrent. Le vieux Joe, avide de pouvoir et ayant manqué sa chance, éduqua ses enfants pour qu’ils reprennent son flambeau et ses ambitions.
Alors ils furent préparés à devenir des gagnants, Joe junior, l’aîné en particulier. Mais il perdit la vie pendant la guerre, voulant se distinguer en héros lors d’une mission périlleuse (il était dans l’aviation). Les espoirs paternels se concentrent alors sur le frère suivant, surnommé Jack, qui jusqu’alors se destinait à devenir écrivain ou journaliste, se comportait en play-boy et était connu pour son insatiable besoin de séduire des femmes, et empêché par de terribles douleurs dorsales (liés à la maladie d’Addison dont il souffrait). Mais son père l’intime de se consacrer à la politique. Bénéficiant des grands moyens familiaux, d’un charme et d’une aisance naturelles impressionnantes, John Fitzgerald Kennedy sera élu sénateur puis président des Etats Unis à l’aube des années 60.
Dans l’ombre de Jack se tient son frère Robert, à l’indéfectible loyauté. Il se montre intransigeant notamment dans sa lutte contre la mafia, ce qui lui vaudra des inimitiés durables et des ennemis dangereux. Il est le conseiller privilégié de son frère alors qu’il est devenu ministre de la justice. Il est en conflit à peine voilé avec J. Edgar Hoover, le tout puissant patron du FBI.
Ils avaient l’insolence de la jeunesse et une certaine forme d’inconscience. Ils furent mis gravement à l’épreuve pendant l’épisode de la crise des missiles de Cuba ou l’épisode de la baie des cochons. On envoyait en masse des instructeurs au Vietnam dans la préparation d’une guerre dont la menace assombrissait l’horizon. Le racisme était encore endémique notamment dans le sud où on marchait pacifiquement pour les droits civiques. L’époque était indécise, tourmentée. Et ils en incarnaient une forme d’élan et d’idéalisme.
Mais Jack fut assassiné à Dallas en novembre 1963, alors qu’il commençait à œuvrer pour sa campagne de réélection de l’année suivante. Robert en fut effondré et anéanti. On le voit suivre le cortège et soutenir Jackie, le visage figé de deuil. Dans la logique compétitive et battante de la famille, il doit prendre la place laissée vacante. Comme dans ces armées du 18ème siècle, avançant sur le champ de bataille, où dès qu’un soldat tombe, il est remplacé par son suivant. C’est le destin ou la fatalité. En 1964, il devient sénateur de New York.
Seulement Bobby change et saisit l’évolution de son temps. De son animosité envers le président Johnson (dont il perçoit la nomination comme une usurpation après la mort de son frère), naît une conscience nouvelle : il parlera au nom des minorités. De la misère des gens qu’on ignore et qui vivent dans des conditions déplorables dans certains endroits de la fière Amérique. Il sera notamment l’un des seul légitimes à saisir la détresse qui accablera les afro-américains après l’assassinat de Martin Luther King.
En 1968, il jouit d’une popularité immense et a de grande chance de remporter les primaires démocrates pour se présenter à l’élection présidentielle. Partout où il va, il soulève l’enthousiasme populaire. Il devient icône. Et sans doute le dernier dépositaire d’idéaux progressistes, il jouit d’une confiance que la jeunesse n’accordait plus à ses politiques. Il est en phase avec son temps. On s’attend à son triomphe.
Du moins, on l’espère, ce soir-là dans une salle bondée de l’hôtel Ambassador en Californie où il vient de remporter les primaires. Il a soulevé l’espoir et la foi en lui. Il sera un héros comme son frère avant lui et inventera une fin heureuse et inespérée à sa dynastie endeuillé. Il écoutera les petites gens, lui, le fils de riche du sud élevé dans les privilèges qui a semblé les écouter si fort et avec tant d’empathie.
Et puis retentit un coup de feu. Bobby, s’apprêtant à sortir de l’endroit par les cuisines, s’effondre. Autour de lui c’est la panique, la consternation et la confusion. Il est touché à la tête. Dans un dernier moment de conscience, il demande si ce n’est pas trop grave.
A cet instant, Robert Kennedy devient l’un de ces improbables martyrs qui ont donné envie d’espérer un moment. Même si sans doute, c’est illusoire, que sans doute il aurait déçu. Mais il demeure encore, 50 ans plus tard, l’un des visages qui, un moment, incarnèrent un idéal. Comme les héros des chansons de gestes que rien ne peut vraiment atteindre. Comme l’un des acteurs d’une dynastie marquée par la mort et la tragédie, le dernier à être monté si haut.
L’une de ces destinées qui ressemblent à un grand roman.