50 parmi 5000 et 10 de plus, vous suivez ?
Le festival international de BD d’Angoulême ouvre ses portes le 24 janvier.
Pendant 4 jours, cet événement du 9e art va mettre à l’honneur nombre d’auteurs de bandes-dessinées au talent débordant et organiser de multiples conférences et ateliers. Parmi les animations les plus originales : une rencontre entre musique classique et bande-dessinée, autour de Hänsel et Gretel, avec la participation de l’Orchestre de Paris et la Philharmonie de Paris.
Des Masterclass (« Batman, 80 ans ») et des Rencontres internationales (avec Milo Manara, Emil Ferris…) sont également proposées. Sans oublier une rétrospective sur le vénéré Richard Corben, ainsi qu’un riche programme d’expositions qui offre de revenir, par exemple, sur l’œuvre de Tsutomu Nihei, l’une des plus grandes références du manga de science-fiction.
Enfin, devenu un hub international en matière de BD, Angoulême nous offre de redécouvrir, à travers sa sélection officielle, des dizaines de titres qui ont marqué l’année écoulée de leur empreinte artistique, graphique, humoristique, policière, sociale, politique…
À Addict-Culture, qu’on se le dise, sur les plus de 50 chroniques BD publiées en 2018, on a aimé et partagé avec vous trois des ouvrages sélectionnés à Angoulême : le divertissant « Malaterre » (Dargaud), en sélection officielle ; le mystérieux « Gramercy Park » (Gallimard) et le jubilatoire « Kill my mother » (Actes sud BD) en sélection Polar SNCF.
Mais sur les plus de 5000 BD sorties en 2018, on est forcément passé au travers de quelques titres, bien que l’objectif soit avant tout de partager nos coups de cœur et de n’être donc pas exhaustif. Cela n’empêche pas quelques regrets ! Voici donc le top 5 des BD 2018 dont on n’a pas parlées… mais dont on aurait beaucoup aimé parler et dont on va se faire un plaisir de vous parler maintenant !
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, on vous propose aussi, à la toute fin de cet article, de mettre le cap sur les 5 BD parmi les plus intéressantes de ce début d’année (et qu’on s’apprête à vous chroniquer aux petits oignons très prochainement).
Le top 5 des BD dont on n’a pas parlé !
« L’Homme gribouillé » (Delcourt)
La BD se décline en 328 pages de bonheur narratif accompagné d’un dessin très maîtrisé en noir et blanc. Né d’une idée de l’écrivain Serge Lehman avant d’être partagé avec Frederik Peters, dessinateur exigeant et reconnu de science-fiction, l’ouvrage aura mis plusieurs années à prendre forme.
La raison en est d’abord pragmatique : le duo se devait d’être disponible au même moment pour travailler ensemble. Et il lui fallait disposer de suffisamment de recul pour effectuer quelques recherches documentaires et parfaire ainsi la construction de l’univers de l’histoire.
Il est vrai que la structure du récit, qui met en scène le parcours de plusieurs femmes, est à la fois dense et complexe. Mêlant une histoire d’ogre à une course contre la montre, engagée pour faire face aux menaces d’un étrange oiseau dénommé « Max Corbeau », la bande-dessinée captive par la richesse et le caractère bien trempé des personnages (au sens propre comme au sens figuré).
En effet, dans un Paris balayé par des pluies diluviennes, tous vont devoir plonger dans les affres du passé. Noir et violent, l’ouvrage se conclut dans un final grandiose, avec la révélation d’un extraordinaire secret de famille, enfoui sous les collines d’un hameau déserté après un mystérieux glissement de terrain…
« L’homme gribouillé » – Serge Lehman et Frederik Peters – Delcourt – Paru le 18 janvier 2018
***********
« Il faut flinguer Ramirez, acte 1 » (Glénat)
Cette BD en sélection à Angoulême, c’est de la dynamite ! Ça flingue à tout va, c’est totalement déjanté et c’est marrant. Bref, c’est du super beau boulot.
Dans ce premier opus d’une série qui en comptera trois, Nicolas Petrimaux joue de tous les codes graphiques et scénaristiques pour nous plonger dans l’Amérique tendance des années 80. De fausses pages de pub savamment mises en scène alternent avec un récit survolté mettant aux prises le dénommé Ramirez, employé modèle de la Robotop, à une escouade de tueurs emmenée par le Mexicain Ramon.
Et si ce Ramirez, dont tous les collègues louent la gentillesse et l’extraordinaire doigté pour réparer des aspirateurs made in Robotop, n’était autre que le plus tueur le plus efficace, le plus rapide et le plus malin de tous les temps ? Allons, vous êtes sérieux ? Et pourquoi pas ! Affaire à suivre donc, à travers une folle épopée électrisée par un duo de deux jeunes femmes en fuite : Chelsea Tyler et Dakota Smith.
Ces deux-là étaient actrices avant de bifurquer vers le braquage de banque. Alors quand la fiction rejoint la réalité, c’est absolument savoureux. Dans une affiche de film saturée de couleur rose flashy, on voit ainsi Chelsea poser l’arme à la main : « Elle a buté son époux, elle veut garder les sous », nous dit-on. On la croit sur parole, nous qui la retrouvons en cavale quelques pages plus tard, s’apprêtant à rouler sur tout ce qui lui fait barrage. Hâte de voir la suite !
« Il faut flinguer Ramirez, acte 1 » – Nicolas Petrimaux – Glénat – Paru le 30 mai 2018
***********
« The End » (Rue de Sèvres)
Imprimée sur un papier mat à l’agréable toucher, cette bande-dessinée signée Zep et nourrie de belles teintes monochromes, partage l’idée que les arbres ont une conscience et communiquent entre eux.
Nous suivons ainsi avec intérêt l’engagement militant de Théodore qui, aux côtés d’un professeur de Harvard ayant hérité du mépris de la communauté scientifique pour s’être intéressé à la spiritualité des arbres, s’interroge sur une drôle de substance orange ayant imprégné des champignons. Substance dont la seule présence commence à sérieusement dérégler le monde environnant.
Des animaux sauvages qui perdent le Nord, le directeur d’un laboratoire pharmaceutique qui semble cacher un secret, des promeneurs asphyxiés, une corrélation envisagée avec la disparition des dinosaures 66 millions d’années plus tôt… Autant d’éléments troublants qui font le sel de ce thriller écologique.
Tandis que le professeur, son assistante Moon et les autres personnages de la BD s’évertuent à isoler un codex qui pourrait être la réponse à l’énigme, la forêt les observe et cela ne présage rien de bon. Apocalyptique, instinctif, intéressant, « The End » présente de nombreux atouts !
« The End » – Zep – Rue de Sèvres – Paru le 25 avril 2018
***********
« Algériennes » (Marabout)
La guerre d’Algérie (1954-1962) dura plus longtemps que la seconde guerre mondiale. Et pourtant, cet événement traumatisant des deux côtés de la Méditerranée, n’aura laissé que peu de traces écrites et si peu de paroles librement exprimées.
C’est ainsi que le père de Béatrice, une Française découvrant un jour qu’elle est une « enfant d’appelé », va se heurter au mutisme de cet homme qui lui est pourtant si proche. Ancien soldat français en Algérie, celui-ci a préféré taire l’indicible. Mais pour comprendre où l’on va, ne faut-il pas connaître ses racines et l’Histoire ?
Alors Béatrice va chercher, retourner sur les traces du passé. Elle va faire témoigner. En particulier des femmes. Et c’est là l’angle original et salvateur de cette bande-dessinée aux couleurs tantôt vives quand elles s’ancrent dans la vie d’aujourd’hui, tantôt sombres quand elles plongent dans la mémoire d’un tabou enfoui.
En effet, les femmes sont les grandes oubliées de cette grande guerre des hommes. Résistantes un jour, elles sont maquisardes et bannies le lendemain. La BD n’occulte rien, qu’il s’agisse de rappeler les humiliations et les viols collectifs ou d’illustrer, de longues pages durant, la torture subie, qui manie l’électricité sur les oreilles et fait entrer les ciseaux dans les plaies.
Tous ces récits, travaillés par Swann Méralli et dessinés par Deloupy (« Love story à l’iranienne », Delcourt), ont été construits à partir d’opinions et d’événements réalistes de l’époque. Émouvant et saisissant.
« Algériennes » – Swann Méralli et Deloupy – Marabout – Paru le 31 janvier 2018
***********
« VilleVermine, l’homme aux babioles » (Sarbacane)
Très originale et dotée de vraies qualités scénaristiques, ce beau roman graphique écrit et dessiné par Julien Lambert prend le nom d’une ville grise et dangereuse, qui grouille d’histoires étranges et se nourrit de mésaventures de truands, dont la bande des frères Monk. Au milieu de ce grand bazar essentiellement habillé de couleurs sombres et bleutées, un grand balèze mutique trente de tirer son épingle du jeu : sur simple appel téléphonique, Jacques Peuplier retrouve tous les objets perdus, oubliés, volés.
Les résultats sont garantis car la méthode est unique. Et pour cause, cet enquêteur hors-norme parle aux babioles, qui se font un plaisir de le renseigner ! Ce qui donne des situations que seul ou presque l’imaginaire de bande-dessinée peut offrir. Si les objets restent matériels, ils n’en sont pas moins profondément « humains ». La colère et le sentiment d’abandon, tout comme la tristesse ou la joie de vivre, font ainsi partie de leurs codes d’expression. Cela donne lieu à quelques engueulades et incompréhensions avec le grand Jacques, mais aussi à beaucoup de tendresse, chacun se souhaitant par exemple une bonne nuit avant l’extinction des feux !
Au final, tout irait presque bien dans le meilleur des mondes crasseux et poisseux si notre privé, parti à la recherche d’un bijou pour le compte de la charmante Vanessa, n’avait amoché pour le retrouver la gueule d’un des frères Monk. Et voila Peuplier poursuivi par la fratrie, dont la mère gère d’une main de fer toute transaction se faisant à VilleVermine : propulsé dans une enquête chaotique, l’homme qui parle aux chaises, panneaux publicitaires moisis et radio décrépies doit désormais partir sur les traces de la sœur Monk, enlevée par de mystérieux homme volants pilotés par un savant-fou. Faute de quoi, il pourrait finir sa vie dans un caisson…
Entre deux vols de grosses mouches – qui peuplent VilleVermine et qu’un garçon des rues et son chat s’amusent à capturer avant de les revendre – Jacques va en voir de toutes les couleurs. Mais celui-ci est têtu et courageux. Et n’aime pas qu’on se paie sa tête. Autant de traits de personnalité qui ne vont pas lui faire lâcher l’affaire. Pour notre plus grand bonheur, puisque cela va nous conduire tout droit vers le tome 2, dont la sortie est annoncée en mars ! En attendant, « VilleVermine, l’homme aux babioles » est nominé pour le prix Polar SNCF d’Angoulême ! Sélection méritée pour cette BD mêlant fantastique, humour et enquête policière.
« VilleVermine, l’homme aux babioles » – Julien Lambert – Sarbacane – Paru le 3 octobre 2018
***********
Le top 5 des BD de ce début 2019 !
C’est vraiment tout chaud, on vient tout juste de les recevoir ou ça ne saurait tarder. Ou bien, tout simplement, on n’a pas encore eu le temps de les lire ! Mais parole d’Addict, on sera très bientôt en mesure de partager avec vous ces BD placées dans le top 5 des titres qui nous font le plus envie en ce début d’année. Rien que ça ! En attendant, en voici quelques mots.
« Des milliards de miroirs » (FLBLB)
Tandis que notre actualité est traversée par l’urgence écologique, cette bande-dessinée de près de 250 pages, dite « d’anticipation », nous plonge dans un futur proche où le réchauffement climatique demeure un sujet préoccupant. C’est alors que l’astrophysicienne Cécilia Bressler découvre une planète présentant des lueurs semblables à celles de nos villes. La nouvelle va bouleverser tout le monde et susciter des réactions en chaîne.
Présentées en ligne sur le site de l’éditeur poitevin, les premières planches de la BD font la part belle aux couleurs et à un trait de crayon pour le moins expressif. L’ensemble s’avère à ce point séduisant que nous espérons bien pouvoir vous en parler plus en détail rapidement !
« Des milliards de miroirs » de Robin Cousin (FLBLB). À paraître le 21 février 2019
***********
« Nymphéas noirs » (Dupuis)
Signé Michel Bussi, le polar du même nom a été le plus récompensé en 2011. C’est dire l’attente des afficionados du genre, dont l’impatience de voir ce que ça va donner en BD n’a d’égale que leur passion pour cet auteur prolixe et populaire. L’histoire prend place dans le village de Giverny, où Claude Monet a peint quelques-unes de ses plus belles toiles. La quiétude y est brusquement troublée par un meurtre inexpliqué. Tandis qu’un enquêteur est envoyé sur place pour résoudre l’affaire, trois femmes croisent son parcours…
Au-delà du récit, travaillé par Fred Duval (« Carmen Mc Callum », « Renaissance »), le dessin évanescent de Didier Cassegrain (« Tao Bang ») n’est pas sans rappeler les contours de l’œuvre impressionniste, participant à faire de « Nymphéas noirs » une œuvre en forme d’hommage, décidément à part et forcément très attendue.
« Nymphéas noirs », Michel Bussi, Fred Duval (Dupuis). À paraître le 25 janvier 2019
***********
« Sarkozy – Kadhafi » (La Revue dessinée – Delcourt).
Ils sont cinq journalistes d’investigation : Fabrice Arfi (Mediapart), Thierry Chavant et Benoît Collombat (Radio France), Michel Despratx, Élodie Guéguen (Radio France) et Geoffrey Le Guilcher. Documents à l’appui, ils nous livrent les dessous d’un scandale d’État. Dessinée par Thierry Chavant, l’enquête met en lumière les liens entre l’ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, et l’ancien dictateur libyen, Mouammar Kadhafi : intérêts pétroliers et nucléaires, financement illégal de campagne, le tout sur fond d’intermédiaires véreux, d’opérations de désinformation et de décès mystérieux…
L’instruction judiciaire étant toujours en cour, voilà qui promet à cette BD de faire couler beaucoup d’encre, même si elle ne fait que mettre les faits sur la table, rendant visibles et lisibles des éléments qui peuvent apparaître lointains. Une BD événement et une sacrée belle promesse de lecture.
« Sarkozy – Kadhafi » – Fabrice Arfi, Thierry Chavant, Benoît Collombat, Michel Despratx, Élodie Guéguen, Geoffrey Le Guilcher – Dessinée par Thierry Chavant – La Revue dessinée – Delcourt – À paraître le 30 janvier 2019
***********
« No War » (Casterman)
Un archipel de personnages va investir cette série hors-norme, qui prévoit un livre tous les six mois pour trois, six ou neuf tomes voire plus ! C’est dire l’ampleur du projet, avec aux manettes Anthony Pastor (« La vallée du diable« ). Sans faire la liste du casting complet, sachez que cette saga sera emmenée par Run, un jeune homme âgé de 17 ans, qui refuse de choisir entre deux cultures, celle de sa mère autochtone kivik et activiste, et celle de son père vulko, ingénieur en charge d’un projet gouvernemental qui tend à profaner les territoires sacrés kivik.
Tensions de classe, personnages amoureux, manipulateurs ou combattants… Le scénario, qui prend place au Vukland, territoire fictif situé entre l’Islande et le Groenland, devrait réserver de belles surprises. Entre roman vert et roman noir, l’auteur se revendique par ailleurs de la plume d’Hugo Pratt et de Bastien Vives, dont il admire la force graphique. Autant de références qui ne peuvent que séduire et laisser augurer d’une belle réussite pour ce thriller nordique au long cours.
« No war » – Anthony Pastor – Casterman – Paru le 9 janvier 2019
***********
« Ce que font les gens normaux » (Dargaud)
Ce titre n’est pas un totalement nouveau puisque l’album a d’abord été publié sous le nom de « Young Frances » sous forme de feuilleton dans des numéros du comic book Pope hats. L’éditeur Dargaud le publie aujourd’hui en le présentant comme « un récit ancré dans notre temps, qui se lit comme on lit une série ».
Roman graphique en noir et blanc, au trait simple mais pas moins expressif en ce sens qu’il représente à travers cela la normalité et le train-train quotidien de deux co-locataires, « Ce que font les gens normaux » de Hartley Lin met en scène Frances, assistante juridique tout juste diplômée, et Vickie, qui rêve de devenir actrice. Le passage à la vie d’adulte, son lot de questionnements et de désillusions, ainsi que le regard de ceux qui ont déjà « réussi » bercent les pages de cette bande-dessinée au ton pas si léger qu’il veut bien le faire croire au premier abord. Tout un programme fort intéressant !
« Ce que font les gens normaux » Hartley Lin (Dargaud) – Paru le 18 janvier 2019
***********