[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#2366A5″]I[/mks_dropcap]l suffit de quelques secondes pour comprendre que de ce bouillon sensoriel, l’auditeur ne pourra sortir indemne. En effet, la plupart des drones et des matières sonores s’insinuent en lenteur, en douceur, pour ne pas dire en cachette. Souvent, le point de départ s’apparente au vide, à l’absence.
Fukuoka Rinji et Michel Henritzi nous livrent, avec Descent To the Sun, une pièce étrangement monolithique qui semble, dès le départ, toucher au zénith. A la première seconde, le morceau démarre en trombes, avec ce flot de cordes grinçantes, marquées par des réverbérations qui ne sont pas sans rappeler certaines productions du shoegazing. Imaginons un instant les méthodes de travail de Charlemagne Palestine, de La Monte Young voire plus probablement Tery Riley et bien entendu, Tony Conrad, appliquées par My Bloody Valentine.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#2366A5″]V[/mks_dropcap]oilà ce que peut évoquer le travail de Fukuoka Rinji et Michel Henritzi, en tout cas dans les premières minutes. C’est un peu le monolithe de Kubrick qui vous tombe tout à coup dessus, sans même que vous vous en doutiez.
Sur ce troisième opus, le duo entre le japonais et le français se veut être un hommage concret à Henry Flynt et au Dream Syndicate. Descent To The Sun se place comme une boucle continue de cordes frottées, de sons malaxés et de crissements incessants, sans nul chemin, sans nul repère. En effet, ici, les routes ne mènent pas ailleurs, elles ramènent sans cesse au même point. Mais bien vite, la route se referme derrière vous, comme pour vous faire entendre qu’une fois un pied posé sur cette voie, il est impossible de rebrousser chemin. Il est alors vain de faire l’impasse, il faudra avancer, dans le noir, comme dans un long couloir aux lumières éteintes, et sans point de mire. La référence à Tony Conrad est alors évidente, et Fukuoka Rinji semble maltraiter un violon jusqu’aux sangs, alors que derrière, les boucles, les sons, les atmosphères tournoient à l’envi et sans fin.
Descent To The Sun s’enfile dans un paradoxe par ailleurs troublant : Être immobile et en perpétuel mouvement à la fois. En effet, pas une seconde n’est la même que la suivante et pourtant, cette longue pièce de quarante minutes semble se jouer comme une boucle dès les premiers instants, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’auditeur qui, noyé sous un flot bruitiste et parasitaire, se perd facilement au milieu d’une bande sonore qui peut sembler cauchemardesque. Et pourtant, malgré un inconfort certain, l’hypnose fonctionne, et l’auditeur est happé, comme sous un train à pleine vitesse, et se laisse embarquer pour un pays inconnu.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#2366A5″]D[/mks_dropcap]ans sa seconde moitié, Descent To the Sun résonne alors comme une vibrante œuvre chaotique, car moins statique. Les champs évoluent, au gré des fréquences triturées, mais le voyage reste toujours aussi mouvementé et la destination saturée. A mesure que l’on avance, le morceau se voit couvert de couches sonores toujours plus agressives, mais le mixage, axé sur le centre, ne donne pas l’occasion au son de prendre de l’ampleur, ce qui rend l’accès plus délicat, mais aussi plus pertinent. C’est en effet en partie dans ce mix à la limite du mono que l’agression sonore puise toute sa force. Les ressacs permanents qui arrosent l’ambiance vous attrapent et vous font tanguer jusqu’à perdre la moindre forme de repère et le duo vous épuise à grands renforts d’assauts extatiques.
Il suffit de fermer les yeux un instant et d’imaginer les deux musiciens livrant une performance live de cette œuvre pour les voir terminant les quarante minutes bouclées sur fond de marasme, pour voir les peaux saigner sur les archets, sur les potards et sur bande. Le disque se termine moins brutalement qu’il n’avait commencé, comme pour s’excuser ou laisser une chance à l’auditeur de survivre à pareilles tensions. Une fin de disque sur fond d’apocalypse décharné, de restes de décor abandonnés, ou de reliefs dénudés qui en termine avec vous après avoir distordu de toutes ses forces vos nerfs et votre attention. Un disque à la beauté austère et monacale qui ne permet pas l’écoute en demi-teinte mais qui requiert, au contraire, tout votre abandon.
Descent To The Sun est disponible chez BAM BALAM RECORDS.