[dropcap]Q[/dropcap]uelque part dans une ville de banlieue pavillonnaire, la narratrice, adolescente fascinée par les produits de marque et les signes extérieurs de richesse, rêve d’une vie meilleure, quelque part au soleil dans un monde fantasmé. Mais, ses parents ayant des idées bien arrêtées sur la façon dont il doit être dépensé, le manque d’argent l’empêche de prendre son envol et elle va devoir ne compter que sur elle-même.
Apprenant l’existence du groupe Magritte, dont elle ne comprend pas immédiatement l’activité, elle décide de s’y intégrer. Le groupe s’avèrera être un réseau de prostitution local dirigé par des jeunes à peine plus âgés qu’elle et elle comprendra rapidement ce qu’ils attendent d’elle. Après une première expérience traumatisante, elle commence néanmoins à gagner un peu d’argent et à envisager quelques premiers changements dans sa vie. Mais le départ soudain de son père va compliquer encore la situation. Coincée entre ses frères et sœurs et sa mère dépressive, la jeune fille va connaître un apprentissage accéléré de la vie et de ses exigences.
Dans les pubs McCain, on montrait des foyers unis dans leurs salons Far West, des cheminées prospères, un père de famille charcutant une grosse dinde et dehors une hache plantée en plein coeur d’un billot. Ce genre de vie. Moi, j’avais les soixante kilos de Renaud, sa passion aveugle pour ses abrutis de molosse, la convalescence de ma mère et l’indifférence de mon père. Aucune suggestion ne m’avait préparée à ça. » Salomé Kiner.
Journaliste née en 1986, Salomé Kiner livre avec Grande Couronne son premier roman. On ne prendra pas trop de risques en disant qu’il va faire parler de lui. Certaines pages secouent sans ménagement, ici on ne prend pas de gants pour décrire ce que vit la narratrice.
Salomé Kiner réussit un grand écart impressionnant entre description crue de situations sordides et omniprésence d’un humour ravageur. Elle a doté son héroïne d’un caractère bien trempé qui lui permet la plupart du temps de faire face à ce qu’on veut lui imposer. Portée par ses rêves, la jeune fille traverse l’adolescence en prenant de plein fouet la réalité dans la figure. Elle parvient pourtant à se relever chaque fois, forçant l’admiration autour d’elle. Mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille et c’est finalement l’abandon du foyer conjugal par un père lâche et désintéressé qui lui portera le coup le plus dur.
Porté par une énergie phénoménale, Grande Couronne impressionne, choque, amuse mais ne laisse pas indifférent. Véritable portrait au scalpel d’une certaine frange de la population française, le roman vise juste et touche à chaque fois. Salomé Kiner y fait œuvre de sociologue, une sociologue certes trash mais réaliste et dotée d’une empathie rare. Les hommes sont ici rarement à leur avantage, jeunes ou vieux, démissionnaires ou portés par leurs hormones, ce ne sont véritablement pas les héros de ce conte moderne. La narratrice et ses amies, dont chacune a un incroyable parcours de vie, s’épaulent et se trahissent mais ont toutes en commun un formidable appétit de vivre et une capacité d’adaptation confondante, utilisant au mieux tout ce qu’elles vivent pour avancer autant que faire se peut en direction de leurs aspirations.
Véritable bouffée d’air à la fois pur et glauque, Grande Couronne est un texte à lire, dans lequel une voix s’élève, dont l’écho reste longtemps en nous une fois le roman terminé. Aussi cliché que puisse être cette expression, c’est la seule qui me vienne à l’esprit pour tenter de vous convaincre de découvrir à votre tour ce premier roman tout sauf tiède, bien loin du nombrilisme précieux qui caractérise un certain nombre de textes de cette nouvelle rentrée littéraire.
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Grande Couronne de Salomé Kiner
Christian Bourgois éditeur, 19 août 2021
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Image bandeau : Dovydas Žilinskas / Unsplash