– Allo William, c’est David. Tu crois que tu pourrais me donner l’adresse que je t’avais demandée. Parce que je devrais en avoir besoin rapidement.
– Pas de souci, je t’envoie ça tout de suite par sms
– Merci, c’est cool.
– Dis-donc, t’es pas encore venu voir Hamlet à l’Epée de Bois !
– Euh…. pas encore… mais c’est au programme… je…
– Super. Je le dis à Marie et Rebecca, ça va leur faire plaisir que tu viennes. C’est une mise en scène du father, tu vas voir, c’est vraiment très beau.
William ne lâche rien. Jamais. Vous pouvez être en train de lui faire mille compliments sur la pièce qu’il vient de jouer que dans la seconde suivante il va vous demander si vous avez déjà réservé pour la prochaine. Il faut dire que quand ce sont ses amis qui jouent, William va les voir… toujours. Une fidélité à toute épreuve.
Mais bon, là, je dois reconnaître que j’ai assez envie de passer mon tour. Hamlet à la Cartoucherie de Vincennes mis en scène par Daniel Mesguich, ça ne me dit rien. Trop loin, trop long. Et puis je ne fais pas partie des admirateurs de Daniel Mesguich, même si je garde un souvenir mémorable de son Boulevard du Boulevard qui m’avait, à l’époque, valu quelques fou-rires. Mais par manque de curiosité, je n’étais pas allé au-delà.
Et finalement, dimanche après-midi, plutôt que de me pencher sur les révisions du contrôle d’allemand de ma fille, je me résous à prendre mon scooter sous une pluie battante pour faire les quelques kilomètres qui me séparent du bois de Vincennes.
Un peu trempé, j’arrive dans le magnifique foyer du théâtre de l’Epée de bois qui me donne envie de m’installer à une table pour boire tranquillement un bon vin chaud, mais la queue qui s’est formée à l’entrée de la salle me fait comprendre qu’il est déjà temps de rejoindre ma place… Tant pis pour le vin chaud.
Et c’est parti pour trois heures.
Pendant les cinq premières minutes, je me dis que la traduction (du metteur en scène himself) est un peu alambiquée, très littéraire et peut-être pas adaptée à la scène. Et puis peu à peu, mon oreille se forme à ces sonorités. La difficulté devient musique et la langue de Shakespeare se met à résonner de mieux en mieux. Mes réticences fondent petit à petit et je me mets à écouter avec de plus en plus d’attention.
Bon, il faut dire que l’histoire d’Hamlet, je la connais bien. D’ailleurs tout le monde la connaît. Les vieux parce qu’ils l’ont lue à l’école. Les plus jeunes parce qu’ils ont vu Le Roi Lion au cinéma (oui cher lecteur, tu l’apprends peut-être ici, mais Le Roi Lion c’est Hamlet chez les fauves).
Si j’écoute aussi attentivement, c’est non seulement parce que la langue est belle, que la distribution est impeccable (Hamlet, Polonius, Ophelia, Rosencrantz, Guildenstern et tous les autres) mais aussi parce que la mise en scène est somptueuse. Inventive à chaque instant, elle révèle toute la force et la drôlerie du texte de Shakespeare. Quand arrive la première scène où Hamlet est confronté au spectre de son père, je me surprend même à penser qu’il y a quelque chose de lynchien dans cette mise en scène de Daniel Mesguich. Plusieurs fois d’ailleurs, je penserai à Mulholland Drive et à ses ambiances flottantes et envoûtantes.
Et puis au moment de la mort de Polonius, je me dirai qu’il y a là une idée de théâtre toute simple, déchirante, shakespearienne en diable, qui mériterait à elle seule de voir le spectacle.
Quand le spectacle prend fin, je félicite mes amis qui sortent de scène. Puis sous une pluie battante, je reprends mon scooter pour rentrer chez moi.
Je roule lentement pour que la vitesse ne vienne pas briser cette ambiance cotonneuse qui m’étreint encore. Un peu ébloui par les phares des voitures, je repense à cette phrase de Prospero dans La Tempête : « Nous sommes de l’étoffe dont les rêves sont faits et notre petite vie est cernée de sommeil ».
Merci Will, merci d’avoir un peu insisté pour que je vienne.
Hamlet au Théâtre de l’Epée de Bois (Cartoucherie de Vincennes)
du 4 au 30 novembre 2014
du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h
mise en scène Daniel Mesguich
avec William Mesguich, Anne de Broca, Philippe Maymat, Zbignew Horoks, Rebecca Stelle, Sarah Gabrielle, Yann Richard, Eric Bergeonneau, Marie Fremont, Florent Ferrier, Tristan Willmott