Poursuite d’une très forte affluence au Festival America en ce samedi, sans doute dopée par la présence de gros gros poids lourds de la littérature américaine, et en raison également de salles plus petites que lors des éditions précédentes.
Une journée que j’ai commencé côté intermittence des cœurs. Mais attention les romancières et romanciers qui nous en ont parlé, Nathan Hill (Bien-être Gallimard), Elisa Shua Dusapin ( Le grand Incendie Zoé) et Colm Tóibín (Long Island Grasset) ont porté le sujet à des hauteurs réflexives très éloignées de considération bassement sentimentales! Chez Nathan Hill par exemple un couple en crise est un véhicule parfait pour examiner la question de la vérité ou devrait on dire de la post vérité dans une contemporanéité qu’il juge angoissante. Les relations sororales sont chez Elisa Shua Dusapin l’occasion d’une exploration quasi archéologique des territoires de la langue et de notamment celle que nous partageons avec nos proches, y compris si ceux-ci comme dans son roman sont privés pour raison médicale de la faculté d’utiliser les mots. Ce pouvoir des mots véhicule comme le pointe Colm Tóibín la faculté incroyable des écrivain(e)s, que tout le monde a rêvé de posséder depuis tout petit, celle d’inventer, de s’inventer des nouvelles vies, humaines voire animales ou végétales ! Un choix difficile rappelle Elisa Shua Dusapin car il est à la fois merveilleux et écrasant. Un peu comme celui qu’on pouvait utiliser dans les livres dont on est le héros dont Nathan Hill était très fan jeune et contre lesquels il essayait de tricher en regardant où menait les différents choix proposés par les scenarii. On aimerait pouvoir encore le faire dit-il mais plus on avance en âge plus on comprend que la vie c’est effectivement regarder l’éventail des choix qui s’offrent à vous se réduire inexorablement! C’est ce qu’expérimentent ses personnages, et faire apparaître les tensions extrêmes qui sous-tendent tous ces choix constitue pour Colm Tóibín tout l’enjeu du travail du romancier qui doit s’attacher à les matérialiser et non nous livrer par facilité la surface visible des situations, cette enveloppe factice sous laquelle elles nous apparaissent et qui n’offre en fait aucun intérêt.
Parmi les poids lourds présent à Vincennes James Ellroy est sans doute l’écrivain qui déchaîne actuellement le plus de passions. Il faut dire que le personnage est assez dingue et que son arrivée à la Masterclass animée par François Angelier à laquelle j’ai assistée, donnait plus l’impression de l’entrée en scène d’une Rock star que celle d’un écrivain de polars.
Mais attention comme il l’a rabâché à de nombreuses reprises pendant cet entretien il vend en France quatre fois plus de livres qu’en Amérique et il n’est venu que pour une chose, vendre aux lecteurs français son dernier ouvrage Les enchanteurs, qui fera dit-il d’excellents cadeaux de Noël si on en prend plusieurs !!! Une veine commerciale qu’il revendique quand François Angelier le ramène sur son enfance et le tragique assassinat de sa mère. « J’ai beaucoup monté ça en épingle pour vendre des livres et notamment mon autobiographie, Ma part d’ombre, mais je vais bien ». On pourrait parfois en douter tant cet homme de 76 ans qui n’hésite pas à pousser des cris de bêtes (d’où son surnom d’American Dog) pendant la rencontre et qui est habité par une foi calviniste exacerbée utilise une forme de provocation qu’on pourrait prendre pour une forme d’illumination. Alternant les couplets mégalomaniaques (qu’il qualifie lui même ainsi), les tirades nihilistes jetant 90 % de la production artistique tous genres confondus (et notamment celle des autres écrivains) dans une immense poubelle, voire les attaques misogynes contre celle, Marilyn Monroe, qui ne figure dans son roman que pour mieux être dégommée, pilonnage qu’elle partage avec JFK que James Ellroy rend responsable, dans une ligne qui partirait de Francis Scott Fitzgerald aux années 60’s d’une partie de la décadence des États-Unis!
Car ne nous y trompons pas, et j’ai sans doute commis tôt cette erreur moi qui ai adulé James Ellroy dans ma jeunesse pour cette langue inimitable qui faisait partir immédiatement dans les bas fonds de L.A, donnait à voir la face sombre de l’Amérique et nous faisait frissonner d’un mélange exceptionnel d’horreur et de plaisir littéraire, Ellroy a un projet précis. Oui aujourd’hui, encore plus fortement qu’hier quand les romans de l’auteur américain étaient mieux connus que leur auteur, Ellroy se revendique comme un romancier de la rédemption. Il crée des personnages de bad boys pour mieux les sauver avant que leur chute ne soit totale. Pas vraiment convaincue je suis aller chercher mes coups de cœur du jour un peu plus loin…
Et je n’ai pas eu à aller bien loin car la onzième édition du Festival America a fait une belle place au roman graphique, signe tout à la fois de la puissance du genre et de sa percée éditoriale.
Une table ronde absolument passionnante réunissait les dessinateurs Edel Rodriguez (Worm- Une odyssée américano-cubaine, Bayard Graphic), Joe Sacco (Guerre à Gaza, Futuropolis), Craig Thompson (Ginseng Roots Casterman ) et Birgit Weyhe (Rude Girl Cambourakis). Quatre univers graphiques très différents mais qui tous portent la marque comme la littérature présentée à America d’un très fort engagement. Obligation de témoigner devant laquelle s’est retrouvé Joe Sacco qui indique pourtant combien dessiner des images de violence devient de plus en plus insupportrable pour lui. Raconter pour Edel Rodriguez le traumatisme de la fuite des cubains vers les États-Unis et la vie qu’ils mènent de l’autre coté de la mer en Floride. Revenir avec Craig Thompson sur une enfance agricole dans un milieu fondamentaliste au travers de l’incroyable histoire de la culture du ginseng en Amérique et du commerce avec la Chine qui s’en est suivi. Ou encore relater l’histoire de Prsicilla Layne professeur d’allemand afro-américaine et son parcours féministe. Mais aussi et surtout, utiliser la narration graphique pour porter encore plus loin le message comme la double réflexion proposée par Birgit Weyhe accusée d’appropriation culturelle et qui trouve via le roman graphique une manière de répondre aux attaques de ses détracteurs et de nous faire réfléchir à cette délicate question si brulante aux États-Unis.
Mon sac s’alourdit avec ces beaux mais gros volumes il est temps de rentrer le vider avant d’aborder la dernière journée ….
Quel formidable compte-rendu ! On s’y croirait ! Superbe plume, comme toujours, merci beaucoup Cécile. J’aurais aimé assister à cette table ronde avec Nathan Hill and co, j’aime ces auteurs, et bien qu’il m’ait toujours terrorisée, entendre Ellroy prêcher pour sa paroisse… Brrrr.