[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]ujourd’hui, nous mettons à l’honneur le plus grec des auteurs scandinaves, Theodor Kallifatides. Cet écrivain suédois nous entraîne en plein cœur d’une contrée sombre et violente. Un univers qui témoigne de la vitalité sans cesse renouvelée de la littérature policière nordique et qui se prêterait à merveille à une adaptation télévisuelle sous forme de série : à bon entendeur…
Né en Grèce en 1938, Theodor Kallifatides vit en Suède depuis plus de 40 ans. Tour à tour poète, rédacteur en chef d’une revue littéraire et scénariste, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, dont la plupart ont déjà été traduits en plusieurs langues. Sa trilogie autour de la figure de Kristina Vendel inaugure, en 2000, son entrée dans le polar et donne à voir un monde âpre et violent, dont il est difficile de ressortir indemne.
A l’occasion de la publication en France du troisième volet de ce cycle intitulé Dans son regard, ressortent également en poche Juste un crime, publié en 2008 aux éditions Rivages, suivi de Le sixième passager en 2011. On y suit, dans la commune d’Huddinge, appartenant au comté de Stockholm, le parcours d’une jeune commissaire, Kristina Vendel, confrontée à des enquêtes sombres, incarnation d’un certain déséquilibre du monde.
Théodor Kallifatides prend un soin tout particulier à l’évocation de ses personnages, dont il cisèle le portrait et l’intimité d’une main d’orfèvre, leur donnant ainsi une profondeur criante de vérité. Ce sens du détail est contrebalancé par une écriture précise, abrupte et dépouillée, dont Rivages nous livre une traduction volontairement quasi-littérale. Parfois, le récit se fait tortueux, déstabilisant ainsi le lecteur, pour ensuite mieux le saisir d’effroi, au moment le plus inattendu.
En exclusivité, les éditions Rivages nous ont confié un extrait des 2000 premiers signes du roman de Théodor Kallifatides qui sortira en librairie le 9 Novembre prochain, Dans son regard.
EXTRAIT :
Samedi 1er décembre
Le lieu du crime, c’était son corps.
Elle avait dans son sac la photographie qu’ils avaient laissée. Un cliché de Polaroid la représentant, nue et béante comme une pivoine en juillet. Il y avait quatre mois qu’elle était en quête du trafiquant d’organes Jonathan Hagen. Elle avait fini par réussir à se mettre sur sa piste mais la mort eut le temps de la précéder. Il avait attrapé un cancer galopant que ses trois gorilles ne pouvaient arrêter.
En revanche, ils tentèrent de l’arrêter, elle. Quatre heures durant, elle fut en leur pouvoir. Ils lui arrachèrent ses vêtements, lui dénudèrent la poitrine, lui écartèrent les jambes, l’attachèrent à une chaise sans dire un mot.
Seul Jonathan Hagen lui parla, posant des questions, menaçant de la tuer de ses propres mains. Elle se rappelait tout. Et puis ils la droguèrent. Elle ne sut pas ce qui se produisit pendant le temps où elle demeura inconsciente. Elle se réveilla seule dans son lit, rossée de coups et désemparée. Le Polaroid reposait sur l’oreiller, preuve de sa honte et de son humiliation.
Elle n’en dit mot à personne. Elle agit comme tant de femmes avant elle, tenant secrète cette violation dans l’espoir que le silence et le temps la guériraient.
Les blessures à l’âme ne sont pas comme le feu. On ne peut les éteindre en les recouvrant. Elles confluent comme des lacs sous-marins qui tirent leur eau de courants invisibles.
Tôt ou tard, l’abcès crève et le poison se répand dans les veines et les artères, dans les pensées et les sentiments jusqu’à ce qu’on devienne son propre bourreau.
La honte n’est pas négociable. La seule chose qui aide, c’est la vengeance. Il lui arrivait de passer parfois plusieurs heures à inventer des manières jouissives de faire mal si jamais elle s’emparait des trois hommes. Cela lui apportait une menue consolation.
Elle trébucha sur une petite fille qui avait quitté sa maman en courant. Cet après-midi-là, il y avait du monde dans la grande quincaillerie de Kongens Kurva.
Les Suédois sont des bricoleurs-nés. Ils aiment construire des choses eux-mêmes, réparer des autos, repeindre des bateaux, refaire le toit de leurs maisons.
Dans son regard de Theodor Kallifatides traduit par Régis Boyer aux éditions Rivages, 9 Novembre 2016.
Les précédents ouvrages de cette trilogie sortiront eux aussi le 9 Novembre 2016 aux éditions Rivages :
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