[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#e53487″]D[/mks_dropcap]ois-je vraiment vous faire l’affront de vous présenter Kazu ? Pour ceux qui auraient occulté tout un pan de rock indé des 90’s jusqu’à maintenant, une remise à jour pourrait être nécessaire. Mais, pour une fois, je serai concis: Kazu, c’est la chanteuse du groupe New-Yorkais Blonde Redhead, auteur de différents classiques tels que Fake Can Be Just As Good, Melody Of A Certain Damaged Lemons ou encore 23.
Point.
Le groupe est en sommeil (coma prolongé ? allez savoir) depuis la sortie de Barragan en 2014 et, vendredi 13 septembre dernier, pour tous ceux qui cultivaient encore l’espoir d’un nouvel opus du trio, Kazu a asséné un véritable coup de grâce en sortant son premier album Adult Baby. Disons-le clairement, nous n’avons été que peu surpris par cette nouvelle. Et pour être tout à fait honnête, on le pressentait depuis 3 O’Clock, dernier EP du groupe sorti en 2016, si crépusculaire qu’on finissait par se demander comment l’entité Blonde Redhead parviendrait à y survivre.
La réponse est simple : apparemment pas. Enfin, peut-être pas.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#e53487″]D[/mks_dropcap]’autant plus qu’entre 3 O’Clock et Adult Baby, Kazu multiplie les collaborations (Rone, Sakamoto, Nosaj Thing), prenant ainsi de plus en plus d’indépendance vis à vis du groupe. Pas étonnant dans ce cas que, quelque temps plus tard, elle ait des envies d’album solo et finisse par créer son propre label. Aussi, une fois l’envie bien installée, pour composer Adult Baby, elle s’isolera chez elle, sur l’île d’Elbe (pour raison de santé), et s’affairera à effacer toute trace de Blonde Redhead. Pour ce faire, même si elle utilisera à plusieurs reprises Amedeo Pace, les guitares (soit absentes, soit inaudibles) iront faire un tour sur un site d’enfouissement des déchets et surtout, en utilisant moult samples, boucles et autres effets électroniques, elle fera la part belle à l’onirisme et la divagation. Vous laissant au final dans un étrange état de flottement, qui peut autant enchanter que déstabiliser et auquel il peut parfois être difficile d’adhérer.
Pour quelles raisons ? Parce que la demoiselle, comme le suggère le titre de son disque, pratique l’oxymore sous toutes ses formes. Adult Baby ou la rencontre de tout et son contraire : l’électronique et l’organique, le minimal et l’orchestral, la simplicité et la complexité, la fluidité et l’expérimental, l’instinctuel et le cérébral, le rêche et le soyeux. Tout semble reposer sur cette dualité antagonique, tant dans l’agencement du disque (comme un miroir : huit chansons plus un instrumental les séparant. Un partie plus enlevée, l’autre mélancolique) qu’au niveau des textes, oscillant eux aussi entre onirisme et réalité. Et de fait, vous avez parfois cette impression qu’ils flirtent avec la psychose, surtout quand il est question de déréalisation (Salty, Unsure The Waves) ou de syndrome confusionnel (double/moitié sur Come Behind, reflet/image sur Adult). Néanmoins rassurez-vous, comme je le notais précédemment, les textes sont également bien ancrés dans la réalité. Mais une réalité toute personnelle, principalement axée ici sur les rapports humains quelque peu biaisés qu’elle semble avoir entretenus tout au long de ces dernières années (et d’ailleurs, sur certains textes comme Adult Baby ou Coyote, se dessine en filigrane la difficulté à s’extraire de Blonde Redhead comme un enfant doit se séparer de ses figures parentales le voyant toujours comme un être fragile).
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#e53487″]E[/mks_dropcap]nfin, pour rebondir sur la part d’enfance d’Adult Baby, c’est elle qui interpelle l’auditeur en premier lieu sur ce disque. Dans ce qu’elle peut avoir d’étrange (l’aspect expérimental des boucles, les arrangements vocaux, oraux, très étonnants, où un claquement de langue peut amener un rythme ou soutenir une mélodie), ou de merveilleux (les cordes, somptueuses, la voix de Kazu), elle phagocyte tout et participe à cet envoûtement que peut exercer l’album (si on y ajoute la mélancolie qui vient se nicher dans la seconde partie). Il en résulte un disque étrange, à la fois très accessible (la voix de Kazu y est pour beaucoup) et difficile à saisir, pouvant évoquer Björk dans cette façon particulière d’expérimenter, de jouer avec l’organique et l’électronique et cette part résiduelle d’enfance qu’on retrouve en fil conducteur de ce très réussi Adult Baby. En tous les cas, même si Kazu est et restera l’inoubliable voix de Blonde Redhead, Adult Baby est suffisamment évanescent et mystérieux pour qu’on espère, en attendant une sortie du caisson d’hibernation (parce que bon, la demoiselle essaime suffisamment de références tout au long d’Adult Baby pour laisser à penser que l’aventure Blonde Redhead n’est probablement pas terminée), un second opus tout aussi captivant que celui-ci.