[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ifficile de définir un genre pour qualifier cette première œuvre d’Alexandria Marzano-Lesnevich.
Enquête policière, livre sur le droit, sur la peine de mort, témoignage personnel ou encore journalisme.
Un mélange de tout cela à coup sûr. Parfois dérangeant mais toujours intelligent, L’Empreinte est un livre fort. D’abord de part le sujet (les sujets) qu’il aborde et par le courage de son auteure qui mérite d’être salué.
L’Empreinte est un ouvrage qui vient de loin. Encore étudiante en droit et toute jeune fille, Alexandria Marzano-Lesnevich fait un stage dans un cabinet qui l’intéresse car il est notoirement connu pour être un opposant important à la peine de mort. Elle l’est également.
Ce cabinet s’occupe de l’affaire de Ricky Langley, condamné à perpétuité pour le meurtre d’un jeune garçon de 6 ans.
Or, si Alexandria Marzano-Lesnevich avait des convictions avant de s’intéresser à une telle affaire, celle-ci va les ébranler. Sévèrement.
Et cela va la pousser à analyser son propre passé, faisant remonter des choses qu’elle même a vécues étant enfant.
Je suis venue ici pour aider à sauver l’homme à l’écran. Je suis venue pour contribuer à sauver des hommes tels que lui. Je suis venue parce que mes idéaux et mon identité existent indépendamment de ce qui s’est produit dans le passé. Il le faut. Sinon, que me réserve la vie ?
Mais je regarde l’homme à l’écran, je sens les mains de mon grand-père sur moi, et je sais. Malgré la formation que j’ai suivie, malgré le but que je poursuivais en venant travailler ici, malgré mes convictions. Je veux que Ricky meure.
Ce passage est à l’image du livre. Une interrogation constante et fascinante à propos de soi-même, de son histoire, tout cela mis en parallèle avec l’histoire terrible d’un meurtrier.
Alexandria Marzano-Lesnevich ne nous épargne rien et se met en danger, ainsi que sa famille en révélant ce qu’elle a subi. Elle alterne les chapitres sur sa vie avec ceux consacrés à celle de Ricky Langley.
Nous lisons ainsi les sentiments intimes de l’auteur puis elle nous donne à lire, dans un style journalistique, la vie de Ricky, son enfance, son adolescence.
Si elle n’épargne pas le meurtrier, Alexandria Marzano-Lesnevich ne se dépeint pas non plus sous son meilleur jour. Elle se laisse aller à des confidences qui nous font parfois rougir mais servent toujours son propos. Comprendre et expliquer. Pour avancer. Pour continuer d’aimer et pardonner. Se pardonner.
Et par-dessus tout, nous sommes prisonniers de l’histoire que nous racontons sur nous-mêmes, l’histoire des descendants de pauvres immigrés qui ont fait fortune et ont maintenant les Cadillac, les enfants splendides qui réussissent brillamment, le plus grand nombre de guirlandes de Noël sur le perron du quartier. Nous allons bien avec une telle détermination que ce doit être accablant pour eux de voir soudain une de leurs filles débarquer avec, sur elle, les stigmates de ce qui ne va pas si bien. Et ce doit être un soulagement pour nous tous lorsque je repars à la fac.
C’est souvent, voire plus, difficile à lire car les détails sont très présents, dans les deux narrations. Aucune ne nous laisse le temps de respirer.
On pense à d’autres auteurs, tels Mika Gilmore et son incroyable Un long silence ou encore à quelques livres d’Emmanuel Carrère, dans sa veine autobiographique. C’est de cette trempe-là qu’est L’Empreinte. Livre hallucinant et halluciné. Œuvre noire qui semble avoir été écrite pour permettre à son auteur de survivre. Car c’est de cela dont il est question.
L’Empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié,
paru chez Sonatine, janvier 2019