[mks_dropcap style= »letter » size= »80″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ffcc00″]Q[/mks_dropcap]ue diriez-vous d’embarquer dans un attelage filant à toute allure dans les steppes enneigées, bien emmitouflés dans un manteau de zibeline ? Que ceux que l’aventure tente se rassurent, je ne vais pas les inviter à relire le « Docteur Jivago » mais un roman de l’écrivain russe contemporain le plus imaginatif et halluciné qui soit, Vladimir Sorokine. Et croyez-moi, ce voyage dans La Tourmente mérite le détour…
Un médecin venu de la ville doit louer un traîneau à un moujik, porteur de pain de son état, pour rejoindre un village frappé par une épidémie de peste et y livrer des vaccins. C’est le début d’une traversée semée d’embûches dans le silence et l’immensité des steppes enneigées. Nous voilà embarqués dans un de ces grands romans russes du 19ème siècle, penserez-vous…
Mais qui connaît Sorokine comprendra qu’il y a anguille sous roche. Fonçant à travers l’espace et le temps, la troïka s’avère être une « trottinette », tirée par cinquante chevaux miniatures, tandis que nos deux compères vont croiser en route une galerie de personnages plus incroyables les uns que les autres. Du meunier injurieux de la taille d’une poupée russe au géant congelé sur le nez duquel la trottinette se brise, l’auteur fait de ce voyage une véritable épopée fantastique et poétique. Laquelle sera ponctuée d’une nuit torride avec une belle meunière, deux airs de balalaïka, trois verres de vodka et bien d’autres péripéties que je vous laisse découvrir…
Avec son imagination débridée et son écriture parfaitement maîtrisée, l’enfant terrible des lettres russes nous offre, une fois encore, un récit remarquable dans sa construction et sa précision, jonglant à merveille avec les registres de langue, les époques et les genres romanesques. Et ce faisant, il interroge, l’air de rien, le passé et l’avenir plus qu’incertain de la Russie et de ses hommes. Aussi déroutant que fascinant, ce petit texte unique en son genre, aux allures de fable allégorique, devrait rafraîchir les idées autant que donner froid dans le dos à ceux qui oseront s’y plonger.
La Tourmente de Vladimir Sorokine, traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard, éditions Verdier, collection « Poustiaki », 2011
