Même si c’est avec le Transperceneige que Rochette s’est fait connaître, dans les années 1980 puis à la fin des années 90, c’est Ailefroide Altitude 3954, paru l’an dernier, qui nous a fait aimer l’auteur. On a ainsi découvert un homme que l’on ne soupçonnait pas, passionné de montagne et d’escalade, ayant risqué sa vie à plusieurs reprises et survécu à un très grave accident. Le loup, publié en mai chez Casterman, creuse le sillon entamé avec Ailefroide et entraîne le lecteur au cœur d’une confrontation sans merci en haute montagne.
Gaspard est berger au cœur du massif des Écrins. Excédé par les attaques répétées d’une louve contre son troupeau, il la tue, en plein parc naturel, au mépris de toutes les réglementations existantes. L’animal, en mourant, laisse un louveteau qui va devoir apprendre à survivre et finira par grandir dans la haine de l’assassin de sa mère. L’affrontement est inévitable.
S’il est, en France, un débat qui éveille toutes les haines et les passions ancestrales, c’est bien celui de la réintroduction du loup dans nos montagnes (au même titre que celle de l’ours). Les avis sont tranchés, vifs, sans concessions et un terrain d’entente entre éleveurs et défenseurs du loup semble aussi illusoire et utopique que l’espoir d’une paix durable dans le monde, un bon album de Jul ou la vie éternelle …
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« Le berger et le loup, c’est pas fait pour être ensemble ». Avec cette sentence définitive, voilà résumé le point de vue de Gaspard, qui s’oppose également de toutes ses forces à l’Etat et à ses représentants au sein du parc naturel, allant jusqu’à asséner aux gardiens du parc : « C’est pas vous qui allez faire la loi dans mes montagnes ». C’est dans cette capacité à s’approprier le milieu naturel au sein duquel il vit que se révèlent pleinement, non seulement le caractère de Gaspard, mais aussi et surtout cette exclusivité que notre espèce semble revendiquer en permanence, cette facilité à rejeter l’autre, celui qui empêche de vivre en paix. Mais à quel titre l’homme est-il plus chez lui dans ces montagnes que le loup ? Au nom de quelle loi non écrite peut-il décréter que le prédateur n’a pas sa place en ce monde ?
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L’affrontement du berger et du louveteau devenu adulte prendra une dimension épique au sein du cadre exceptionnel du Massif des Écrins, magnifié par le dessin de Rochette, qui célèbre la beauté de l’environnement au sein duquel il a grandi, en même temps que la rudesse des lieux. C’est dans les dernières pages que l’on verra une étincelle de compréhension dans le regard de Gaspard mais il aura fallu qu’il frôle la mort pour y parvenir. Si l’on peut émettre des doutes sur la façon dont Rochette conclut son récit, Le loup est indéniablement imprégné d’une forme d’espoir qui laisserait à penser qu’une cohabitation reste possible entre l’homme et le prédateur. On se gardera de tout jugement à ce sujet, même si tout optimisme nous semble déraisonnable au regard des violences qui émaillent régulièrement les pages de l’actualité rurale dès qu’il y est question du loup.
Reste, et c’est bien ce qui compte, un grand et beau récit dans lequel Rochette donne la pleine mesure de son talent à peindre des décors dans lesquels l’homme, quoi qu’il en pense, reste à jamais minuscule.