De cette rentrée littéraire 2018, difficile de mettre en lumière un seul roman. Je vous parlais, il y a peu, du Adoration de Jimmy Lévy, du très beau premier roman de Laure Catherine ou encore du talent de John Burnside et de son Bruit du dégel.
Aujourd’hui, je mets en avant Loup et les hommes. Troisième œuvre d’Emmanuelle Pirotte. Après Today we live et De profundis, elle est de retour avec un nouveau roman complètement différent.
En effet, elle choisit de situer son intrigue en 1663, à la fois en France et dans le nouveau monde, à savoir la Nouvelle-France, au-delà de l’Atlantique.
Nous avons affaire à l’aristocratie française, aristocratie déchue mais ayant toujours au moins un domestique, ici nommé Valère et sur lequel nous reviendrons.
Emmanuelle Pirotte nous décrit la vie d’un couple qui n’arrive pas à avoir d’enfant. Un jour, M. de Canilhac ramène un enfant, trouvé on ne sait où, personne ne connaît son âge mais sa femme va l’adopter tout de suite. Il se nommera Loup.
Enfant des bois, abandonné, il devient le fils de ce couple.
Miraculeusement, quelques années après l’arrivée de Loup, le couple de Canilhac aura, naturellement, un autre fils : Armand.
La première partie du roman parle de la vie de ces deux « frères ». Des excès de Loup, de l’admiration craintive d’Armand pour son frère aîné.
Une des grandes réussites de Loup et les hommes réside dans le fait qu’Emmanuelle Pirotte s’amuse avec beaucoup de flashback. Les souvenirs des personnages seront ainsi donnés pour plusieurs d’entre eux mais ils diffèrent. Les points de vue offrent une nouvelle interprétation. Loup est-il aussi cruel? Armand est-il vraiment si proche de son frère, n’y aurait-il pas un peu de jalousie chez lui?
Un drame terrible va détruire cette famille, une trahison les mène à leur perte.
Loup sera exilé et des années plus tard son frère, dans une réception croit reconnaître au cou d’une jeune amérindienne un saphir que possédait Loup.
Les remords, les sentiments reviennent, les questions aussi… le questionnement d’une vie.
Armand, petit homme solitaire, triste, malade et craintif à l’excès va s’engager dans la quête de son existence : retrouver son frère, où qu’il soit. C’est le départ pour l’Amérique sauvage et le véritable début du roman.
Vous pensiez avoir afffaire avec une histoire de nobles? Emmanuelle Pirotte fait basculer son récit qui devient extrêmement romanesque, un roman d’aventures en un pays inconnu et dangereux. La rencontre avec les indiens iroquois, leur culture, la recherche de Loup, l’amour qui surgit, des hommes qui se révèlent à eux mêmes et à leurs proches.
Ainsi, Valère, le domestique discret mais qui n’en pensait pas moins, va complètement se transformer en affrontant des épreuves terribles. Il en ressortira comme un nouvel homme, remettant en cause toute sa vie.
Une vérité frappe Valère: il sait ce qu’il voit, ce qu’il vit, ici et maintenant… c’est l’innocence. Celle qui était avec l’homme au jardin d’Éden et que les blancs ont perdu à jamais. Qui sont ces gens? Pourquoi ne les laisse-t-on pas tranquilles dans leurs forêts? Pourquoi leur envoie-t-on des prêtres? Ils n’en ont pas besoin. Ils portent Dieu en eux. Ils ont son visage. Son souffle les traverse. Dieu les vénère, il les serre chaque jour dans ses bras comme ses enfants bien-aimés. S’ils disparaissent de la terre, sa colère sera terrible, son chagrin inconsolable.
Il est à l’image de cet extraordinaire roman qui commence comme un classique du 17ème siècle avant de se transformer en roman d’initiation, d’aventures, roman de la découverte d’une nouvelle culture, différente mais que les personnages adoptent peu à peu.
Emmanuelle Pirotte nous propose une œuvre aussi psychologique. Car Armand et Loup cachent des failles importantes, béantes pour certaines. Comment les affronter? Une aide indienne, un regard nouveau aidera ces hommes.
Il avait appris cela, entre autres choses utiles, depuis qu’il vivait parmi les Haudenosaunee. Fuir son passé ne sert à rien; c’est lui qui vous retrouve. Il vous surprend dans le dos et abat la hache qui vous mettra à genoux. Mieux vaut aller à sa rencontre et le regarder bien en face. tenter de le tenir en respect.
Loup et les hommes, c’est aussi de longues scènes de combat, homériques et héroïques. Ou encore la culture indienne de la torture. Des scalps qui volent, des doigts coupés, des corps brûlés.
Mais l’amour est présent. Et à travers lui, des images, belles et poétiques que nous donne à lire l’auteur:
Je veux entendre encore les mots qu’elle murmure dans le plaisir; je veux l’écouter me raconter qu’un arbre qui pourrit et tombe ne meurt pas, mais s’endort seulement, en attendant de renaître à nouveau. Je sens le tambour de la vie battre dans tout mon être. Je bois avec délectation l’air chargé de brume matinale et de battements d’ailes; il m’emplit la poitrine, se fraie un passage dans mon sang, dans ma tête où les pensées coulent enfin sans se heurter.